J'ai le mal du voyage. Rentrée au port, j'ai la tête qui tourne sur le quai, pendant que le navire s'en va au loin, dans la brume, après avoir fait embarquer mes souvenirs épars.
Terminus.
J'ai peur d'oublier, encore et encore. Je reviens à cette ancienne vie, celle qui s'ancre lentement dans la vase, et je laisse les sourires s'échapper dans la crique. Il n'en restera bientôt plus grand-chose, simplement une ombre qui flotte de temps à autre. Le coeur se serre. Je tends les mains vers le plafond désespérément blanc, la nuit, à la recherche d'étreintes, criant des prénoms sur lèvre close, et rien. Rien.
Adios.
Dimanche 12 juillet 2009 à 23:47
Dimanche 21 juin 2009 à 18:19
Il fait délicieusement mélancolique.
A peine sent-on cette odeur légère, quelque peu âcre de l'eau sur le macadam, la pluie tombe à petites gouttes, discrétion, sur la fenêtre entrouverte. Les silhouettes s'en vont silencieuses dans les dédales de grisailles ; la cloche sonne, minuit.
A peine sent-on cette odeur légère, quelque peu âcre de l'eau sur le macadam, la pluie tombe à petites gouttes, discrétion, sur la fenêtre entrouverte. Les silhouettes s'en vont silencieuses dans les dédales de grisailles ; la cloche sonne, minuit.
Dimanche 7 juin 2009 à 20:56
La capitale des lumières se révèle sous son jupon étoilé ; la nuit tombe. Et moi, je me laisse bercer par le roulement sur les pavés, crissements de pneu ; et les phares des voitures dansent contre mon iris. Le spectacle est envoûtant. On laisse son corps, abandonné, tanguer au rythme des à-coups et des glissements, sombrer à l’odeur du cuir chauffé. C’est une valse un peu particulière, le ternaire marqué par la gomme et le klaxon. Et Paris tourne, tourne, tourne, pendant que ses volants laissent apparaitre sous la robe de gala les ruelles étroites de ses cuisses effilées, veinules discrètes, charme clandestin de la Grande Dame, que seuls les connaisseurs aperçoivent et savourent.
Et le jour, bientôt ! Alors Madame remet son voile de secrets en attendant refermant la porte sur ses amants nocturnes. Elle se poudre le nez, aurore blafarde ; et déjà la vie reprend son cours, sous les projecteurs et les flashes, pour cette personnalité mondaine d’un podium un peu vieilli, tendre désuétude.
Et alors ? Si demain, la ride de ton front s’élargit encore un peu plus, avec la grisaille et les averses, Paris, je t’embrasserai tout de même.
Mercredi 3 juin 2009 à 0:00
Mon cher A,
J’ai récemment repris la lecture de cet ouvrage que vous m’aviez conseillé il y a de cela quelques années. Vous souvenez –vous seulement, les Chants du Maldoror, dans les profondeurs obscures d’une salle enfumée, d’un caveau à peine éclairé, d’un fauteuil grinçant et d’une complicité encore hésitante ? C’était certainement notre première rencontre. Vous m’aviez faite assoir sur ces ressorts rouillés, en me glissant un de vos regards en coin, l’air presque amusé de ma naïveté fleur de peau. Et vous avez sorti le livre. L’œuvre. La sombre histoire de ce buveur de sang, de ce monstre hybride, de ce meurtrier imaginaire. Vous avez tiré un marque-page, de vos longs doigts blancs, osseux, l’œil brillant, la lèvre frémissante. Un extrait, peut-être ?
« Quand [l’araignée] s’est assurée que le silence règne aux alentours, elle retire successivement, des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s’avance à pas comptés vers ma couche. Chose remarquable ! moi qui fais reculer le sommeil et les cauchemars, je me sens paralysé dans la totalité de mon corps, quand elle grimpe le long des pieds d’ébène de mon lit de satin. Elle m’étreint la gorge avec les pattes, et me suce le sang avec son ventre. »
J’ai frissonné, dans la tiédeur trompeuse des vapeurs d’alcool. J’ai vu l’insecte glisser sur le corps dudit Maldoror, embrasser de ses pattes le cou de la victime, presque langoureusement, en amante insatiable, et puis y enfoncer ses féroces mandibules assoiffées du « liquide pourpre ». Litre par litre. Jusqu’à l’anémie, l’oubli, la mort.
Mais Maldoror ne meurt pas. Il survit, entre les lignes sinueuses tracées par cet homme à peine sorti de l’adolescence, mort avant l’heure entouré des écrivains parisiens du moment, France du XIXe siècle. La tombe l’appelle, inlassablement, mais il tourne autour, traine, flâne presque entre les tombes, où il rencontre la Prostitution. Il hume les charognes, caresse les cadavres, mord les chairs, arrache les cœurs. Une sorte de croque-mort avide d’existences, enterrant les esprits encore vifs, jouissance extrême.
Et pourtant. Lorsque tout à l’heure j’ai lu quelques lignes, dans l’espoir d’avoir désormais l’esprit assez formé pour apprécier cette prose-déliquescence, ce phrasé-corruption, j’ai effleuré la beauté d’un vers. Surprise ! Voilà l’océan qui se dévoile, dans toute sa splendeur, mais aussi dans tout son hermétisme. Une étendue d’eau sans fin, fourmillante de souvenirs mais oubliée des hommes. On se souviendra alors avec amertume de quelques vers de Jose Maria de Hérédia, dans les Trophées, de ces êtres ingrats qui, vivant parmi les dieux déchus, ne se retournent jamais sur ce qui a été et continuent d’avancer au devant, vers l’indéfini d’un horizon brumeux. Lautréamont écrit alors :
« C’est pourquoi, en présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour (et nul ne sait la quantité d’amour que contiennent mes aspirations vers le beau), si tu ne me faisais pas douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l’antithèse la plus bouffonne que l’on ait jamais vue dans la création : je ne puis pas t’aimer, je te déteste. Pourquoi reviens-je à toi, pour la millième fois, vers tes bras amis, qui s’entr’ouvrent, pour caresser mon front brûlant, qui voit disparaître la fièvre à leur contact ! Je ne connais pas ta destinée cachée ; tout ce qui te concerne m’intéresse. Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des ténèbres. Dis-le moi… dis-le moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n’ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme. »
Enfer et damnation, que la pénitence est douce au travers de ces mots, alors que l’on sentirait presque les relents de souffre contre notre peau, palpitation, sueur. Ha, le Beau se mêle au Mal et l’on ne peut s’empêcher de repenser à Baudelaire, un peu à sa Charogne à lui.
« Quand [l’araignée] s’est assurée que le silence règne aux alentours, elle retire successivement, des profondeurs de son nid, sans le secours de la méditation, les diverses parties de son corps, et s’avance à pas comptés vers ma couche. Chose remarquable ! moi qui fais reculer le sommeil et les cauchemars, je me sens paralysé dans la totalité de mon corps, quand elle grimpe le long des pieds d’ébène de mon lit de satin. Elle m’étreint la gorge avec les pattes, et me suce le sang avec son ventre. »
J’ai frissonné, dans la tiédeur trompeuse des vapeurs d’alcool. J’ai vu l’insecte glisser sur le corps dudit Maldoror, embrasser de ses pattes le cou de la victime, presque langoureusement, en amante insatiable, et puis y enfoncer ses féroces mandibules assoiffées du « liquide pourpre ». Litre par litre. Jusqu’à l’anémie, l’oubli, la mort.
Mais Maldoror ne meurt pas. Il survit, entre les lignes sinueuses tracées par cet homme à peine sorti de l’adolescence, mort avant l’heure entouré des écrivains parisiens du moment, France du XIXe siècle. La tombe l’appelle, inlassablement, mais il tourne autour, traine, flâne presque entre les tombes, où il rencontre la Prostitution. Il hume les charognes, caresse les cadavres, mord les chairs, arrache les cœurs. Une sorte de croque-mort avide d’existences, enterrant les esprits encore vifs, jouissance extrême.
Et pourtant. Lorsque tout à l’heure j’ai lu quelques lignes, dans l’espoir d’avoir désormais l’esprit assez formé pour apprécier cette prose-déliquescence, ce phrasé-corruption, j’ai effleuré la beauté d’un vers. Surprise ! Voilà l’océan qui se dévoile, dans toute sa splendeur, mais aussi dans tout son hermétisme. Une étendue d’eau sans fin, fourmillante de souvenirs mais oubliée des hommes. On se souviendra alors avec amertume de quelques vers de Jose Maria de Hérédia, dans les Trophées, de ces êtres ingrats qui, vivant parmi les dieux déchus, ne se retournent jamais sur ce qui a été et continuent d’avancer au devant, vers l’indéfini d’un horizon brumeux. Lautréamont écrit alors :
« C’est pourquoi, en présence de ta supériorité, je te donnerais tout mon amour (et nul ne sait la quantité d’amour que contiennent mes aspirations vers le beau), si tu ne me faisais pas douloureusement penser à mes semblables, qui forment avec toi le plus ironique contraste, l’antithèse la plus bouffonne que l’on ait jamais vue dans la création : je ne puis pas t’aimer, je te déteste. Pourquoi reviens-je à toi, pour la millième fois, vers tes bras amis, qui s’entr’ouvrent, pour caresser mon front brûlant, qui voit disparaître la fièvre à leur contact ! Je ne connais pas ta destinée cachée ; tout ce qui te concerne m’intéresse. Dis-moi donc si tu es la demeure du prince des ténèbres. Dis-le moi… dis-le moi, océan (à moi seul, pour ne pas attrister ceux qui n’ont encore connu que les illusions), et si le souffle de Satan crée les tempêtes qui soulèvent tes eaux salées jusqu’aux nuages. Il faut que tu me le dises, parce que je me réjouirais de savoir l’enfer si près de l’homme. »
Enfer et damnation, que la pénitence est douce au travers de ces mots, alors que l’on sentirait presque les relents de souffre contre notre peau, palpitation, sueur. Ha, le Beau se mêle au Mal et l’on ne peut s’empêcher de repenser à Baudelaire, un peu à sa Charogne à lui.
« Alors, ô beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposées ! »
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposées ! »
J’ai le sourire aux lèvres.
Je repense à cette soirée, alors que vos doigts de spectre caressaient les filtres brunis par la fumée, jeune innocente aux rêves égarés. Cela fait maintenant longtemps que je n’ai croisé vos regards de biais et vos moqueries provocatrices. Alors je rouvre ce livre un peu poussiéreux sur une atrocité mielleuse, sur un crime délicieux, et je me souviens de vos mots, dans la nuit de ma jeunesse perdue.
PS :
« J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrière du mal… atmosphère douce ! »
Je repense à cette soirée, alors que vos doigts de spectre caressaient les filtres brunis par la fumée, jeune innocente aux rêves égarés. Cela fait maintenant longtemps que je n’ai croisé vos regards de biais et vos moqueries provocatrices. Alors je rouvre ce livre un peu poussiéreux sur une atrocité mielleuse, sur un crime délicieux, et je me souviens de vos mots, dans la nuit de ma jeunesse perdue.
PS :
« J’établirai dans quelques lignes comment Maldoror fut bon pendant ses premières années, où il vécut heureux ; c’est fait. Il s’aperçut ensuite qu’il était né méchant : fatalité extraordinaire ! Il cacha son caractère tant qu’il put, pendant un grand nombre d’années ; mais, à la fin, à cause de cette concentration qui ne lui était pas naturelle, chaque jour le sang lui montait à la tête ; jusqu’à ce que, ne pouvant plus supporter une pareille vie, il se jeta résolument dans la carrière du mal… atmosphère douce ! »