Mardi 6 novembre 2007 à 16:54

Ce n'était qu'un matin brumeux, flottant parmi mille autres, dans une sorte de danse sans rythme. Il n'y avait qu'elle. Elle et son cœur abîmé, lourd de souvenirs arrachés et d'images décolorées. Ce n'était qu'un mirage, dans un fleuve endormi, comme une ombre sans nom sous un ciel obscur. Rien. Il n'y avait rien, non, autour d'elle. Juste le voile diaphane de son dernier espoir, de sa dernière prière, un soupir dans la nuit glacée. Des silhouettes sans consistance tournaient autour du corps abandonné, en cadence, sans violence. L'attente latente de l'aurore indicible qui aurait pu amener le bonheur. Mais l'audace ne paye. Le voile ne se déchire, mais l'âme s'étiole. La lune expire de longs rayons bleutés, sans jamais prononcer ces merveilleuses promesses. Il n'y a que l'espoir, oui, qui tienne encore. Le corps se meut. Il se tourne et se détourne, sur le chemin trop rigide de l'existence placide. Une sorte de révolte, sans condition et sans explication. Le simple hurlement d'un esprit tourmenté qui ne demande qu'à s'apaiser dans la douceur de bras protecteurs.

Les haleines tièdes se mêlent, rubans argentés d'une brume engourdie, dans les profondes noirceurs du temps. Elle se serait presque endormi, transie de froid dans ses fines jupes, alors que les secondes défilaient en la narguant. Ce n'était qu'une sorte de songe sans fin qu'elle observait dans le miroir trouble de la vie, une route à tracer, alors même que ses jambes s'avancent dans l'inconnu gelé d'une destiné contre-indiquée. Alors ses yeux s'ouvrent grand sur le vide insensé de son existence, ses longs cils battant son regard absent. Un concerto sans concertation, syncope brisée et triolet de noires, tête tournante et mains moites. Mais il ne faut pas trembler. Non. Il faut être fort. Fort. Ce n'est qu'une expression sans fondement, une sorte d'image à calquer, dans un coin de sa conscience. Etre fort, et n'être que ce qu'on vous demande d'être. Sourire, alors même que les larmes se bousculent sous le pont de vos sentiments et que la rage bout dans les bas-fonds de vos entrailles. Etre fort, une idiotie à tenir pour vraie. Alors les dents se serrent dans un gémissement imperceptible. Les doigts s'entrecroisent et se griffent, frémissement froissé. C'est une habitude à prendre. Etre dans l'absurdité des conventions, alors même que toute raison nous échappe. Vivre hors d'un monde ordonné, dans une sorte de rêve éveillé, entre peur et chaleur. Ce n'est pas une vie, peut-être. Une étincelle éphémère dans la froidure grandissante. L'aube s'approche, à pas feutrés, apportant avec elle la crainte d'un nouveau jour. L'air se glace et ses sens sont en feu. La robe s'est prise dans la neige nouvelle. Le cœur s'est fêlé.

Une brûlure. Voilà une comparaison bien frêle, par rapport à ces sentiments qui se bousculent. Quelques notes de musique s'égrainent dans l'atmosphère lourde, pour s'abattre avec fracas sur le sol givré. Elles parlent de soleil, faible rayon d'un espoir bientôt évaporé. Les ailes des anges laissent flotter quelques plumes fanées, dans un léger parfum de lys blanc, alors que les roses rouges ont éclos, laissant leurs pétales glisser sur les peines à panser. Il y a des mots qui disparaissent, dans le lointain. Ceux qui s'oublient sur les routes effacées. Et pourtant. Une feuille craquelée, à l'encre bleue délavée, qui virevolte contre son cœur palpitant. Battement incessant. Le regard se perd à l'horizon chatoyant. L'indicible heure profile ses délicates parures. Le corps s'emplit d'une lueur irréelle, coupe de promesses sacrées aux reflets nacrés. Le réceptacle est infini, tant que les paroles résonnent sans jamais se rompre.

L'aube a étalé ses jupons dorés. Elle s'endort enfin, dans la larme rosée des secondes oubliées. L'éternel ouvre un œil, et veille sur son corps abandonné. Silence et communion.



Quelques mots, sur une feuille jaunie par le temps qui fane. Quelques souvenirs, sur quelques lignes inavouées. Quelques instants, dans l'infinitude du serment. Et ces quelques lettres qui se gravent dans la chair et l'esprit. Entre être et âme. Entre homme et femme. Entre elle et son entité. Aimer.

Dimanche 21 octobre 2007 à 18:18

    Tourbillon. Je m'abandonne à l'exquise douceur de cette lassitude. Mes pieds frôlent le parquet trop froid, entre automne et soupir, et les feuilles mortes tombent sans un bruissement dans la tempête à venir. Il y a comme une bouffée de chaleur qui s'engouffre, soulevant délicatement les fins rideaux de soie. Transparence et retenue.


    Andante Sostenuto, la tête haute et la poitrine bombé, pour ces quelques secondes de répit. Celles qui sont attribuées aux trompettes triomphantes et aux trombones résonnants. C'est une illusion, mais on le sait déjà. Moderato Con Anima, et les cordes vibres. Il y a cette agitation sourde, ce halètement soudain, comme un danger silencieux qui s'approche, vous guète, et vous happe. Moderato Assai, Quasi Andante. Rasseyez vous, le spectacle se gèle dans d'indéchiffrables soli de hautbois qui se mêlent, s'emmêlent et se démêlent sans jamais se quitter. Allegro Vivo. Enfin, le voile se déchire et les notes s'entretuent. Il y a ce désespoir, au creux des cors qui s'endorment, au loin, dans un forêt humide et oubliée, sans laisser de traces. Le fauteuil craque un peu, alors que je m'étire. Je suis parcourue de ces quelques parcelles d'être intemporel. Il y a une existence qui coule dans mes veines, étrangère à la première. Une sorte de dédoublement sans nom ni raison, la simple vision d'un autre soi, ailleurs. La neige tombe à gros flocon, et la soie s'est transformée en velours. Bourrasque, et je bascule. Les ponts sont décorés de dorures ternies, alors que les carrosses s'avancent, dans l'air perturbé que les chevaux mâchonnent entre leurs mors. Une boue grisâtre se faufile sous mes pieds, filant dans d'invisibles gouffres, sous la route pavée. Les feuilles tourbillonnent, ici aussi, rares et odorantes. Les dômes givrés se drapent dans leur manteau de glace, laissant apparents ces quelques atours colorés. De la fourrure et de l'or, tandis que le bronze se mire dans le turquoise. Ces dames se couvrent contre le vent qui se lève doucement, alors que la ville s'assoupit, derrière l'opéra de verre. Les statuts s'élèvent fièrement, dans le ciel tourmenté de cette cité aux mille visages, et les fusils font résonner leur sinistre mélodie. Et là, avec sa redingote élimée, je retrouve mon ami rôdeur. Il traîne entre les places, à l'abri des arbres qui se plient et se déplient. Il monte les marches du palais et les échelons de la vie, sans jamais reprendre son souffle. Ce n'est que la continuité exiguë de ces jours monocordes qui pleuvent sur lui et sur son chapeau fatigué. Marche, compagnon de réflexion, entre les passants étourdis et les messieurs au visage crispé. Ta main s'échappe en lourdes envolées solitaires, alors que le papier se froisse. L'encre coule et les sentiments s'offrent en pâture aux inconnus incompréhensifs. En de rares exceptions, tu leur présentes ce sourire si faux, pour que les richesses brillent par-dessus cette épaule lassée. De longues soirées posées sur des plateaux d'argent, pour que sa Majesté se délecte de mensonges et d'apparences. Etouffer sous les lourds atours de l'étiquette, sans jamais se demander où l'on est. Alors que toi, pauvre homme, tu observes douloureusement tes mains qui tremblent, à la lueur d'un hiver naissant. La clarinette se jette dans de terribles plaintes, hurlant après cette libération qui n'arrive pas. Les violons se complaignent, dans la froidure insoutenable de la nuit qui tombe. N'allumeras-tu donc pas la chandelle qui brûle en ton cœur, une dernière fois ?
    Andantino In Modo Di Canzone. Je m'allonge. Le lit est froid et l'âme gèle lentement dans son enveloppe charnelle. Cent jours se sont écoulés, et tu es toujours penché sur ce papier griffonné. Tu t'acharnes avec la force du désespoir, alors même que tes plumes ébréchées se taisent dans la sécheresse et la stérilité de leur œuvre. Minuit sonne au clocher. La bougie a été allumée, et quelques gouttes de cire abreuvent tes pensées disparates. Les violons se sont apaisés et entament cette douce et triste litanie. Tu leur avances une valse binaire, dans l'espoir de les attraper lors d'un contre temps. Les cors enivrés se livrent à ton bon vouloir, alors que la flûte cristalline s'élance en d'interminables arpèges décousues. Fantastique montée aux tréfonds de l'âme. Frémissement et délectation. Des images me viennent. Ces flocons qui dansent à la fenêtre, contre les quelques gouttes de givre chaud, me hantent lorsque le feu s'éteint et que les cœurs sont à nu. Et cette flamme dans tes yeux, qui me consume hors du temps, même lorsque les notes se sont endormies sur ces meubles poussiéreux. Les lettres s'entassent et ton cœur déborde. Il s'épand et se répand sur cette feuille jaune, entre le verre de vin et les essais rayés. Le hautbois s'affirme à nouveau. Tu t'écroules.
    Minuit, neuf minutes et cinq secondes. On tourne la page. La plume ébouriffée retourne à l'encrier pour quelque éphémère instant. Une marche militaire, dans l'air vacillant de la maladie. A moins que ce n'en soit pas une. Ton mal-être grandit et te dévore peu à peu l'esprit, sans jamais que les mots ne te quittent. Et les mots s'associent à cette angoisse musicale. Les lettres continuent de s'entasser. Les adressent commencent doucement à s'effacer, sur le piano sommeillant. Les fières trompettes s'élancent, sveltes et fringantes, dans ton esprit détraqué. Les pizzicati s'enchaînent et se déchaînent, fulgurant appel à l'aide, caché par ces notes guillerettes. L'anonyme s'endort, sans reconnaître l'auteur. Il n'y a que façade et faux semblants. Tes yeux fous et exorbités dansent, sans fin, mais l'autre ne fait que passer. N'oublie pas le parfum de ces passants innommés, de ces silhouettes effarouchées et de ces ombres arrachées. C'est un rêve, ami abandonné. Une sorte de songe sans échappatoire qui te ronge. Les confidentes se défilent, et les heures passent. La page s'emplit d'accords triomphants et de bariolages intempestifs. Une sorte de bal auquel les notes se pressent, se cognent et se démangent, sans jamais pourtant se déranger. C'est étrange comme tu assembles les morceaux de ta toile inachevée pour mieux rendre à ce paysage morne ces quelques éclats volés.
    Allegro Con Fuoco. Les hommes en uniformes s'avancent et t'étreignent. La foule lance des fleurs, et les tambours marquent la cadence avec ferveur. Les enfants courent dans les rues aux myriades multicolores, alors que les femmes chantent quelques poèmes. L'eau et le vin se mêlent, le pain se brise et les ventres s'emplissent dans un joyeux tintamarre. Mais toi, mon poète maudit de mots trop différents, tu continues de traîner ta frêle carcasse dans le sillage de ces corps. Indifférence et dégoût, peut-être. Tes mains tremblent encore un peu, même si les frayeurs de la nuit se sont glissées en dehors de ta chambre moite et tiède. Ce monde n'est pas le tien. Ni le mien, de ce fait. Tu m'y as entraînée, taciturne compagnie. Je suis attachée à ton corps sans forme, à ton âme sans loi, à tes souvenirs sans couleur. Ce n'est qu'un jeu que tu m'imposes, celui de me briser contre tes propres peurs. Je m'y prends. Les violons tanguent, les basses vacillent, et l'orchestre trébuche. Les doutes m'assaillent aussi violemment que la pluie me ramène à moi.


    Il est presque une heure. La nuit enroule autour de ses fragiles épaules un délicat châle étoilé. La musique tourne toujours autour de moi. Les feuillets se sont échappés de mes mains assoupies, et se sont éparpillés sur le sol veiné. La bougie s'est éteinte. Et dans cette obscurité pantelante, je cherche encore ta présence emprunte de nostalgie. Il y a encore un parfum de mélancolie tragique, à mon poignet, et une sorte d'amertume dramatique sur mes lèvres sèches. Ce nom qui résonne et s'accorde sans diapason à mon oreille gauche. Entre T et I. Selon les appellations. Celles de mon cœur épris.


Dimanche 30 septembre 2007 à 17:40

 « A quinze ans, j'étais fatigué de vivre. Sans doute faut-il être si jeune pour se sentir si vieux…
 Privé de cette main qui m'a retenu, je me serais laissé glisser jusqu'au suicide, cette mort qui me tentait, séduisante, apaisante, trappe dérobée où j'aspirais à m'enfourner avec discrétion afin de mettre un terme à ma douleur.
 De quoi souffre-t-on à quinze ans ?
 De ça, justement : d'avoir quinze ans. De ne plus être un enfant et pas encore un homme. De nager au milieu du fleuve, une rive quittée, l'autre non rejointe, buvant la tasse, coulant, remontant, luttant contre les tourments du courant avec un corps nouveau qui n'a pas fait ses preuves, seul, suffoqué.
 Violents, mes quinze ans, rudes. La réalité frappe, entre, s'installe et trucide les illusions. Gamin, je pouvais me rêver mille destinées – aviateur, policier, prestidigitateur, pompier, vétérinaire, garagiste, prince d'Angleterre -, m'imaginer de nombreuses apparences – grand, fin, trapu, musclé, élégant -, me doter de talents variés – les mathématiques, la musique, la danse, la peinture, le bricolage -, m'attribuer le don des langues, la facilité pour le sport, l'art de la séduction, bref, je pouvais me déployer dans tous les sens puisque je n'avais pas encore de réalité. Qu'il était beau, l'univers, tant qu'il n'était pas vrai… Quinze ans, voilà que mon champ d'action se rétrécissait, les possibles tombaient comme des soldats à la guerre, mes rêves aussi. Charnier. Massacre. Je marchais dans un cimetière de songes. »

Eric Emmanuel Schmitt, Ma vie avec Mozart.


 C'est étrange. Ces mots, que j'ai trouvés dans un livre à l'abandon, sur une étagère poussiéreuse, sont ceux que je cherche parfois. Cette dérision qui me rend nostalgique de la vie, doucement mélancolique. Alcoolique. C'est une ritournelle, encore et encore. Les mêmes phrases qui reviennent et se mêlent, pour ne plus former qu'un discours incompréhensible. Et ce livre, là, entre mes mains, qui m'offrent la possibilité d'une autre expression, d'une autre libération. Se délivrer par la musique, qu'il dit. Une divinité mythique, dans ses draps de velours, qui vous sourit distraitement d'un tableau fragile posé sur un socle séculaire. C'est l'image même du génie qui vous scrute et vous laisse transparent. Peau diaphane sur quelques os brisés, et votre tête tourne. Voyez, ces notes qu'il a laissées, elles vous ont sauvé. Ne trouvez-vous pas que le hasard - oui, le hasard - fasse bien les choses ? Une sonate salvatrice. Et le sourire me vient. Il y a peut-être des rimes cachées dans les arias prometteurs d'une jeunesse prodige. Eclair et éblouissement. Ascension et décadence. Une vie, un prix. La tienne contre la sienne, et tu te vois comblé.
 A quinze ans, on est. Ou pas. Je ne sais pas, à vrai dire. Le sait-on seulement, à vingt ou trente ans ? Ce n'est pas une certitude. Ce n'est même qu'une hypothèse, délicatement posée sur un lit de questions. Assaisonnement, mon cher ? Un soupçon de doute ? Coïncidence, ou ? Tu me fais rire, avec tes grands yeux. Tu m'entends sans me comprendre, et je t'effraye. Je goûte à la saveur acidulée de ce sentiment incontrôlé. Je presse ma main contre la tienne, t'offre le bénéfice d'une seconde échappée. Fraîcheur et délice. Cela ne dure pas. J'ôte mes doigts tiédis et ton angoisse reprend. Qui suis-je ? Mais tu le sais donc si bien, mon ami. Je suis celle que tu veux que je sois, naturellement. Et mes peurs ne te concernent pas, je crois. Je vais lentement refermer le couvercle de mon obscur réceptacle, pour ne te présenter que mon visage rebondi. C'est une joue rougie, et un sourire feint. Du fard et quelques traits de crayons. Mon œuvre d'art, et ton cauchemar. Je ne suis plus qu'une carcasse, damoiseau, alors que ta chair respire la vie. J'aimerais te voler de ce bonheur, mais il m'est interdit. Les chemins se ramifient, et il est temps que je trouve le mien. Ma route. Ma destinée. Même si je n'y crois pas.
 Et j'espère recroiser des yeux effarés, pour me rappeler la réalité. Ton nom résonne à ma tête comme une douce berceuse. Celle d'une illusion effacée, et d'un passé abandonné. C'est la réalité gommée de ceux qui se disent heureux. J'aime à m'y complaire. Je suis vile et fourbe. Surtout lâche. Chacun son heure, la mienne s'enfuit, je cours la rattraper. En vain. Mais ça me fait rire, au moins un peu.

Mes quinze ans se sont échappés, et je ne les rattraperai jamais. Peine perdue. Et pourtant, il m'en reste quelques morceaux épars, comme une toile mal ajustée. Et vous, vos quinze ans de questionnement ?

Samedi 22 septembre 2007 à 13:00

Chaconne de Vitali, musicalement.



Etre, ou ne pas être. Shakespeare et son éternelle question, entre romances et soupirs. L'auteur s'est tu, dans sa tombe de marbre, et s'est endormi entre les notes tumultueuses d'un fougueux Italien, entre cordes et vent. Une pédale qu'on appuie, alors que l'archet s'envole, contrepoids - plume. Un torrent, lorsqu'on mêle les jeux avec Chopin. C'est une partie de hasard qui s'accorde avec grâce. Soyons fou, partons à l'aventure des gammes perdues.

Les questions. Celles qui planent, légères et éphémères, dans un ciel trop limpide. Un soupçon d'aquarelle pour éblouir la scène, et le sol tremble. Tourbillon, et décadence. L'esprit se tord et se mord, c'est une douce punition. Ou presque. Un semblant de délice, dans la fraîcheur tardive. La pluie se met à couler, au compte goutte, et mes mots n'ont plus de sens. Ils dansent entre les flaques, dessinant d'obscurs projets dans la boue. Je les observe en souriant. Qu'ils s'amusent un peu, en me montrant le chemin à suivre. La route à continuer. Les idées se forment en ma tête. Elles s'organisent en parcelles de cohérence fragile. Un parfum de lys blanc m'envahit, tel une compresse rafraîchissante sur le front des malades. Lys et roses, apparemment. Apaisement tout relatif. Odieuse façade. Trompeuse escapade. Je m'en contenterai, cette fois-ci. Vous les voyez, mes petits bouts qui dansent, qui dansent, perdant leurs guillemets et leurs virgules ? C'est une salsa, ce soir. Une salsa arrogante et démente, qui les fait se tordre et se détendre. Ils rebondissent, sans cadence, sans rythme, et pourtant se complètent. Je ne suis que spectatrice de mes élucubrations sans fin. C'est drôle, vous savez, de se voir ainsi réfléchir. Réfléchir. Quel mot étrange, d'ailleurs. M'enfin, c'est un mot, justement. Mot et concept, concept et mot. Le monde ne tourne pas rond, quelle expression ! Conceptuel, et mes mains me font souffrir. Je gratte le sol, pour récupérer l'ami Conscience qui tente de s'évader par les souterrains. Il est vicieux, à vrai dire, mais je finirai par le rattraper. Je pense. J'espère. Un jour. En attendant, j'ai de la terre sous les ongles, et mes doigts rougis se font douloureux. Dans mon effort, je vois les mots qui se volatilisent, transparents fantômes de mon monde perdu. Ah, lorsque la concentration vous quitte et que vos sens reprennent le dessus, vos raisonnements se perdent. Quel gâchis, moi qui voulais prendre quelques clichés brumeux. Une autre fois, peut-être. Les mains dans les poches, je me retourne. L'aube se lève. C'est un blanc laiteux sur une morne plaine. Quelque chose de triste, peut-être, dans l'émerveillement de l'heure indicible. Mes yeux se posent sur la ligne brisée de l'horizon fatigué. Nouvellement.

Je suis entourée de rêves. Mes rêves flottent entre les arpèges et les accords brisés. Ces accords même sont entourés de rimes entrecroisées. Je suis prise dans l'engrenage de la perplexité, et mon cœur se soulève. La mer m'enrobe dans sa cape d'azur, et je suis [presque] vivante. La marée me porte, et je suis à la dérive, entre Sarasate et Lalo. Soyons francs, la Russie me berce en son sein, et je suis reine des illusions. Mon corps s'agite, dans une rythmique endiablée, et les bariolages s'enchaînent. Je suis liée au destin de cette funeste symphonie, comblée par l'anxiété troublée d'un compositeur persécuté. Ah, âme déchirée, je te suivrai jusque dans les hauteurs vertigineuses et les bas-fonds enflammés de ton esprit torturé. Offerte.




Tchaïkovski, 4ème symphonie en Fa mineur, opus 36, si je puis me permettre.

Vendredi 7 septembre 2007 à 21:39

C'est dans mon verre que je me bois.

Il y a comme un parfum Apollinaire dans l'air. Une ritournelle qui ne s'arrête que pour observer les passants éberlués. Assis à une table, mon poète maudit ressasse ses idées noires, en sombrant dans l'anonymat des pauvres. Il sirote son ambre, sans conviction, la jambe au fût, le bras au tronc. C'est un être étrange que mon ami joli qui se croit maître du monde, de son verre ébréché, de son air éméché. La flammèche se tord et se cambre, alors qu'il la suit, hagard, s'enfuir dans une brume éthérée. Ô oui, il est beau mon compagnon éploré, sur sa table grasse affalé, regardant passer les demoiselles effarées et les damoiseaux égarés. C'est une danse, oui. Une sorte de polka où les pieds fous se renversent, emmenant avec eux les têtes fragiles des cous brisés.

C'est dans mon verre que je me vois.

Apollinaire s'est couché, Zola s'est relevé. Une tombe ouverte sur un monde à découvrir, peut-être. La mort n'est qu'une étape, qu'un passage obligatoire dans une vie trop courte. Ou trop longue. Sartre me glisse quelques mots, au passage. Comme quoi l'Enfer, c'est les Autres. Ah, copain de route de ton livre effeuillé que la sagesse folle accompagnait dans ses errances nocturnes. C'est un sourire que tu m'offres, comme une escapade volée. Je marche dans tes pas, tentant de retrouver tes paroles envolées. Papier engorgé, plume débordée, tes mots tanguent et s'enchevêtrent sans se rejoindre. Quelle parade insolite, me diras-tu. Je ne t'ai pas terminé. Tu n'es qu'une ébauche, tout comme mon écrivain damné d'un paragraphe inachevé, qui se mirait dans les yeux des filles entichées. Un jour, peut-être, un point final au bout d'une sinueuse ligne. Mais ce soir, complice abandonné, je te laisse à ton triste sort, celui de te faire décortiquer, encore et encore, par ces écervelés.

Et c'est dans mon verre que je me noie.

Ah, je l'avais oublié, de ce fait, mon monsieur Z. Celui qui zèbre, oui, entre l'absinthe et la prune. Un fond troublé qui se fond au palet. Redondance. L'eau est d'or, et c'est une rarissime denrée qui te fait délirer. Délier. Je ne sais. Ta main est tombée du bois crasseux, et tes doigts tracent des cercles circonflexes avec les charbons complexes d'un feu éteint. Celui de ton cœur lassé, peut-être, qui sait ? Peut-être un contemporain te rejoindra-t-il, dans la cour des miracles, sans t'offrir cette liqueur salvatrice. Tout n'est que mélange, car tes pensées se tournent vers  un tout autre. Non, je ne te parle pas de celui-là, mais très certainement d'un autre. Un escalier tortueux, dans une montée démoniaque vers la déchéance abîme. Chemin entrecroisé de routes écartées, dans un dédale sans raison. Je vous l'accorde, c'est sans issue. Mais peut-être est-ce ainsi, au fond de ce verre sale, emplit de feu sans ardeur. Une sorte d'illusion. Celle de votre vie, mes amis, dans le reflet tremblotant de cette vérité amoindrie. Un Mentir-Vrai, peut-être, pour ne plus citer. A. A. B. H. S. Z. Ce ne sont que des lettres, celles que l'on vous attribue. Attribut. Tel celui du sujet, assurément. Ne m'en voulez donc pas. Je m'en reviens à vous, docile. Mais vous êtes à ma merci, entre les larmes noires des écrits vandalisés.

Et rire, jusqu'à plus soif. Plus faim. Plus envie. Au clair de lune, les auteurs me font révérence et les poètes maudits m'enveloppent de leur cape sombre. Je suis d'eux, sans jamais les frôler. Exaspération.




Post scriptum :

Garcin

« Le bronze… (Il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent… (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (Il rit.) Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru… Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres. »

Jean-Paul Sartre, Huit clos.


Même si nous n'en avons peut-être pas le droit, ou l'autorisation.
(Notions à étudier.)


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