Mardi 5 mai 2009 à 23:09

Les projecteurs se sont jetés sur les ombres, dévorant les restes de rêves ; désormais, la nuit est froide, aux accents rauques de mitraillettes mal réglées. Les murs criblés de balles exposent leurs ventres déchirés, tandis que les entrailles de la ville s’en déversent. Voilà les corps, voilà les corps !

Mais il parait qu’il reste une femme, aux abords du fleuve, qui chante. Elle a l’épaule ronde, le cheveu de soie, l’œil amande-effilée. Quelques squelettes se rassembleraient encore auprès d’elle pour voir sa gorge fière se gonfler dans des chants aux inflexions lascives. Car la voilà qui chante l’amour, entre les décombres encore fumant des batailles, entre les ruines branlantes de la famine. Elle se lève, balance ses bras d’amante, ses bras de mère, ses bras de femme, oui, dans l’air contaminé de haine, enlace une silhouette, embrasse la pénombre, faisant tournoyer autour de ses cuisses nues les espoirs d’une génération condamnée.
Autour d’elle, les chairs tendres des bambins se parsèment encore de roses salées, tandis que les pleureuses s’avancent. Les jupons vermeils s’endeuillent, les poitrines s’affaissent. On se blottit contre les berges glacées du courant, contre le chant passionné de la Katerina, la Louise, la douce d’Amour, allégorie de cette illusoire espérance qui se dessine au cœur des guerres, alors que les saintes querelles déchirent les cœurs, arrachent les âmes, crucifient les peuples et que les tombes nouvelles appellent les troncs déracinés aux bras ballants, fraiches et souriantes.

Chante, chante, petit Amour aux formes voluptueuses, chante pour ces peaux distordues qui se pressent contre toi, chante pour ces regards vides, pour ces fantômes conscients, pour ses esquisses difformes, jusqu’à ce que la nuit tombe, avec ses enfers d’acier, entre les intuitions émoussées des guerriers trépassés. Chante, chante, jusqu’à la voix éraillée et le timbre asphyxié, pour que les songes renaissent entre les esprits égarés. Chante, chante, jusqu’au réveil de la vie, entre les décombres tièdes des rancunes fanées.


Le lys s’épanouit autour des tombes. Bientôt, les lilas se joindront aux rosiers, et l’histoire oubliera la mort. Ou presque.



Par imparfaiite le Mercredi 6 mai 2009 à 20:16
J'aime beaucoup ton textes, les images et l'atmosphère qui s'en dégagent. Les mots qui se mêlent. Je ne saurais réellement développé. il m'a plu. voilà.
Par novembre le Vendredi 8 mai 2009 à 12:18
"Le lys s’épanouit autour des tombes."

splendide.
Par Vague le Dimanche 17 mai 2009 à 21:53
Tu déchires.
 

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