Ecoute, je comprends que tu en aies eu
envie, mais là, tout de même. Et puis ce n'est pas franchement délicat de ta
part de m'avoir choisie. Eh ben oui, tu ne fais que me rappeler que je suis une
vieille fille d'une quarantaine d'années, toujours seule, n'intéressant
personne. Bah, je ne t'en veux pas pour ça. Après tout, tu n'es pas le seul à
me le faire remarquer. Mais tout de même, il y a des limites. Je ne parle pas
que pour moi, vois-tu, mais aussi du fait que voilà, j'ai un certain âge,
maintenant, et que ce n'est pas conseillé de tomber enceinte passé quarante
ans. Entre les malformations, les risques pour moi,… Tu me suis ? Oui ? Je
pensais que tu étais au courant, monsieur je-sais-tout, mais on dirait pas. Cet
enfant, là, au fond de mon ventre, ce n'est pas le moment. Je suis trop âgée.
J'ai déjà passé la crise, tu sais, celle qui te fait dire que tu n'es plus
bonne à rien et que t'es vieille comme jamais. Passé, le début des rides. Et
puis je ne suis plus intéressée par les vergetures post-accouchement. Mais non,
tu n'en as fait qu'à ta tête. Et maintenant quoi ? Maintenant je suis enceinte.
Espèce d'égoïste, doublé d'un lâche. Pourquoi ? Parce que maintenant qu'il est
là, le petit, ben tu t'es barré. Comme tous ces hommes, d'ailleurs. Les
statistiques le montrent, de plus en plus de femmes sont abandonnées par leur
conjoint lorsqu'elles tombent enceintes. C'est aberrant. C'est dégueulasse. Et
tu sais, c'est par parce que tu te sens supérieur à tous et que tu es idolâtré
qu'il faut croire qu'on te pardonnera toujours tout. La preuve, je t'en
voudrai. Voilà, c'est dit. Et je m'en fiche pas mal des « Chut, arrête, il
t'entend ! » parce que je sais bien que tu n'écoutes que ce qui t'arrange. Ca
fait des siècles que c'est comme ça, tu ne peux pas le nier. Tu lances un petit
signe, de temps en temps, histoire qu'on ne t'oublie pas et que les gens
continuent d'avoir des espoirs décrépis, et puis tu disparais. Moi, j'ai rien
demandé. Je demandais qu'à m'enfoncer dans ma vieillesse solitaire,
tranquillement, parce que passé cette période, ben tu te fais une raison. Mais
non, fallait que tu t'en mêles. C'est fou ça ! En plus, ça va être toute une
histoire. Ca va remettre au goût du jour la vieille querelle toujours pas
entérinée du « Ce fils est LE légitime, les vôtres sont des bâtards ! ». Après
tout, c'est ça, de faire des enfants un peu partout. Au moins quatre ou cinq
femmes officielles, sans parler des pseudo-amourettes sur le bord d'une route.
Peuh. Et maintenant, qu'est-ce que ça va être ? Le bordel. La haine. La guerre.
Des morts par milliers, aussi. Mais ça, tu t'en fous. Parce qu'après tous, les
hommes, c'est comme tout autre troupeau, de temps en temps, il faut épurer un
peu pour que ça prolifère pas trop. Bien joué.
Je m'appelle Marie, j'ai la quarantaine. Je suis vierge et
pourtant enceinte. Je n'ai jamais rien demandé, mais Dieu trouve qu'il faut un
nouveau messie, parce qu'il s'ennuie, de là-haut, depuis qu'entre catholiques
et juifs on a fait la paix. Ou presque. Sauf que de son trône doré, il avait
oublié l'invention merveilleuse de ce siècle béni : l'avortement. Eh ouais, il
n'avait pas prévu ça.
Vendredi 20 juin 2008 à 11:45
Lundi 26 novembre 2007 à 19:59
Je suis juste assis, sur le rebord de la chaise. Elle est rouge, vernie. Mais ça s'écaille, comme le fond de mon cœur.
Tu
sais, tu as le bord de ton visage qui penche vers l'infini de
l'inconnu. Très certainement qu'il y a quelque chose de céleste en tes
quelques mouvements. La grâce de l'infinitude d'une âme trop pure.
Quelques gouttes de rosée tachent ton visage d'un nacré sacré, et je me
noie dans tes yeux-mer qui contemplent les vestiges de mon être. Mon
amour, je t'aime.
La
nuit est tombée. Tes mains, douces et fragiles, s'agrippent à ma
carcasse déjà abandonnée. Tu t'y caches, sans savoir ce que tu fuies.
Comme toujours, peut-être. Il y a un cri qui s'étiole, dans ma gorge
sèche. Tes doigts me brûlent, dans leur indicible fraîcheur. Ton
sourire me consume, alors qu'il coule, sucré, sur ma peau tirée. Tu ne
sais pas, toi. Non, tu ne sais rien. Mon amour, je t'aime.
Il
y a tes cheveux odorants qui caressent mon épaule brisée. Ils glissent,
silencieux, autour de mon cou, et m'étranglent. Leur parfum évasif
m'enveloppe, m'enserre et m'asphyxie. Ce n'est qu'un jeu, pour eux, que
tu ne peux pas voir et que je subis. Tu es trop innocente, mon ange,
pour comprendre. Et mon amour, je t'aime.
Il
aurait fallu que je t'avoue. Que je t'avoue tout. J'aurais dû, il y a
quelques heures, quand tes mains étaient posées sur mes joues
craquelées. Mais je n'ai pas pu. J'ai seulement laissé ta voix, candeur
sucrée, me porter sur les rivages insoupçonnés de la culpabilité. J'ai
abandonné tous les restes de ma dignité à la force destructrice de tes
mots, naïfs et légers. J'ai succombé aux attraits délicieux du mensonge
inavoué. Je ne suis plus rien, désormais, qu'un cauchemar à demi voilé,
et je ne le supporte plus. Mon amour, oui, je t'aime.
Alors
je pose ces quelques mots, ce soir, alors que tes effluves irisées
continuent de s'étendre dans cette chambre confinée. Je revois ta
silhouette dansante, au soleil couchant, alors que ton rire cristallin
s'élevait encore. C'était une cascade, murmure chatoyant, dans l'air
vibrant de cet amour sali. Une fleur, lys parfumé, à ta chevelure
enlacée, sur les rebords d'un monde trépassé. Tu dansais, oui, sur les
notes égrainés de ce qui te semblait être bonheur, mais il manque
quelques pieds, et la valse est bancale. Il ne reste qu'un temps
binaire, et je trébuche sur les croches abattues. Tu t'en vas, tout
là-bas, et je sais que tu ne reviendras pas. Mon amour, ce que je
t'aime.
Je
ne suis qu'un pauvre homme. J'ai délaissé à cette pulsion glacée le
soin de nous éradiquer. Je n'étais pas prêt. Tes quelques phrases
s'effacent doucement devant mes yeux hagards, et ma main tremble. Il
faut que tu saches, mon Autre, que je ne suis plus. J'ai disparu. Nos
souvenirs sont troubles, et mon cœur n'est qu'un amas de peines
perdues. Je ne suis plus, non. Je me suis désagrégé au moment même où
la réalité s'est imposée. Mon amour, aucun soupçon, je t'aime.
Il
est temps. Je sais que tes yeux se voilent déjà. Ton sourire tendresse
porte le deuil, et mon âme se flétrit. J'aurais aimé te tenir dans mes
bras, contre ce cœur qui n'en peut plus d'être si passionné. Mais je
n'en ai plus le droit. Je n'ai offert à ton amour ineffable que la
faiblesse de mon corps obstiné. Je n'ai pas pu résisté, alors même que
ton nom résonnait. J'ai posé mes lèvres sur la chair moite et inconnue
d'une autre. Oui. J'ai fait défaut, j'ai fait dégoût. J'ai fait
tromperie. Ah, mon amour, comme je t'aime.
Je
n'ai plus le moindre désir à assouvir. Sauf peut-être celui de n'avoir
jamais été celui que tu redoutais. Tu avais posé, délicate muse, tous
tes espoirs délectables sur mon instabilité flagrante. Et pourtant. Et
pourtant. Ah, quel imbécile. Tu étais pourtant tout ce qu'il y avait à
espérer, oui. Tu étais la perfection dénudée d'un être adoré. Et moi…
Je n'ai pas su. Je n'ai pas su être comme tu l'aurais souhaité. J'ai
failli. Il n'y a aucun pardon à recevoir. Juste l'impossible vie à
mener. Et moi, je me meurs, doucement.