Dimanche 7 juin 2009 à 20:56



La capitale des lumières se révèle sous son jupon étoilé ; la nuit tombe. Et moi, je me laisse bercer par le roulement sur les pavés, crissements de pneu ; et les phares des voitures dansent contre mon iris. Le spectacle est envoûtant. On laisse son corps, abandonné, tanguer au rythme des à-coups et des glissements, sombrer à l’odeur du cuir chauffé. C’est une valse un peu particulière, le ternaire marqué par la gomme et le klaxon. Et Paris tourne, tourne, tourne, pendant que ses volants laissent apparaitre sous la robe de gala les ruelles étroites de ses cuisses effilées, veinules discrètes, charme clandestin de la Grande Dame, que seuls les connaisseurs aperçoivent et savourent.

Et le jour, bientôt ! Alors Madame remet son voile de secrets en attendant refermant la porte sur ses amants nocturnes. Elle se poudre le nez, aurore blafarde ; et déjà la vie reprend son cours, sous les projecteurs et les flashes, pour cette personnalité mondaine d’un podium un peu vieilli, tendre désuétude.


Et alors ? Si demain, la ride de ton front s’élargit encore un peu plus, avec la grisaille et les averses, Paris, je t’embrasserai tout de même.
 



Jeudi 14 mai 2009 à 22:28

Voilà la pluie. Accoudée à la Seine, entre ses bras séducteurs, je sens les gouttelettes murmurer, caresser, jalouser et frapper. Ce sont de longues cordes, maintenant, pendues au cou du ciel, attendant langoureusement les esprits perdus des passants étonnés. Averse soudaine, grise, émeraude, saphir, sur les pavés désordonnés d’une ville assoupie. On se réfugie sous un auvent, on s’enfuie sous une enseigne. Quelques cris, quelques bruits ; les talons dérapent, clac. Mais je reste à ses bras, fleuve-misère, tandis que les flots gonflent. J’observe les vagues qui m’emportent presque, l’écume aux yeux, et j’y pense.

Pluie orageuse, air lourd. L’ondée passagère est cette passion qui vous étreint un soir, au croisement entre une lèvre et un œil. Elle vous surprend, vous assaille, vous abat. Vous êtes à terre, vous débattant contre le sentiment, bataillant contre l’émotion. Etreintes et coups dans l’éphémère ; les cheveux emmêlés. La foudre tombe, fend les prétentions et offre les cœurs. Et pourtant, le tumulte éreinté s’apaise déjà, tandis que les corps enserrés se détachent. Croisement entre une lèvre et un œil, à nouveau. Mais déjà l’amour s’empoisonne et les langues s’enveniment. Le temps est au soleil ; l’âme est morose.

Les parapluies se referment. Les amants se tiennent par le bras, en jetant leurs cils soupçonneux au ciel. La Seine reflue lentement, entre mes jambes roidies ; le tonnerre s’éloigne. Il ne pleuvra plus. Et déjà je sens la querelle sur les trottoirs, entre les silhouettes alanguies des jeunes amoureux, qui se répand en venin, douce digitale ; aimera, aimera pas. Alors je redresse la tête, iris-nuage, et j’espère un orage prochain.

Mardi 5 mai 2009 à 23:09

Les projecteurs se sont jetés sur les ombres, dévorant les restes de rêves ; désormais, la nuit est froide, aux accents rauques de mitraillettes mal réglées. Les murs criblés de balles exposent leurs ventres déchirés, tandis que les entrailles de la ville s’en déversent. Voilà les corps, voilà les corps !

Mais il parait qu’il reste une femme, aux abords du fleuve, qui chante. Elle a l’épaule ronde, le cheveu de soie, l’œil amande-effilée. Quelques squelettes se rassembleraient encore auprès d’elle pour voir sa gorge fière se gonfler dans des chants aux inflexions lascives. Car la voilà qui chante l’amour, entre les décombres encore fumant des batailles, entre les ruines branlantes de la famine. Elle se lève, balance ses bras d’amante, ses bras de mère, ses bras de femme, oui, dans l’air contaminé de haine, enlace une silhouette, embrasse la pénombre, faisant tournoyer autour de ses cuisses nues les espoirs d’une génération condamnée.
Autour d’elle, les chairs tendres des bambins se parsèment encore de roses salées, tandis que les pleureuses s’avancent. Les jupons vermeils s’endeuillent, les poitrines s’affaissent. On se blottit contre les berges glacées du courant, contre le chant passionné de la Katerina, la Louise, la douce d’Amour, allégorie de cette illusoire espérance qui se dessine au cœur des guerres, alors que les saintes querelles déchirent les cœurs, arrachent les âmes, crucifient les peuples et que les tombes nouvelles appellent les troncs déracinés aux bras ballants, fraiches et souriantes.

Chante, chante, petit Amour aux formes voluptueuses, chante pour ces peaux distordues qui se pressent contre toi, chante pour ces regards vides, pour ces fantômes conscients, pour ses esquisses difformes, jusqu’à ce que la nuit tombe, avec ses enfers d’acier, entre les intuitions émoussées des guerriers trépassés. Chante, chante, jusqu’à la voix éraillée et le timbre asphyxié, pour que les songes renaissent entre les esprits égarés. Chante, chante, jusqu’au réveil de la vie, entre les décombres tièdes des rancunes fanées.


Le lys s’épanouit autour des tombes. Bientôt, les lilas se joindront aux rosiers, et l’histoire oubliera la mort. Ou presque.



Samedi 18 avril 2009 à 0:39

La blanche froidure de l’hiver se couvre d’une cape pourpre. Royal, c’est l’hybride qui s’avance : une machine, cœur de ferraille, crachant le feu et la mort. Quelques cris, tasses fêlées au thé sombre, et déjà les chaînes se referment sur le cœur.

Fleur de lotus brisée. Muse drapée-vert s’écroule dans l’étang froissé. L’hiver tombe lentement, manteau lourd, sur les rêves du poète. Qui murmure encore le mot floraison, sous les cendres moites, wet blossom ?

Vois ! Déjà  la soie des vergers se plisse, les écorces se rident. Le silence tombe, révolution-velours. Le temps se fige sur le mutisme des visages anonymes ; l’histoire n’est pas l’affaire des inconnus, mais des poings levés.

Alors les dieux quittent les jardins abandonnés et les yeux hagards pour se glisser dans le lit dans héros, mains sanglantes, amants passionnés. La neige-pétales, au compte-goutte, embrasse les ombres capricieuses ; minuit, l’heure de l’oubli.

Mardi 16 septembre 2008 à 0:06

Métro Opéra, Paris. La foule se déverse sur le trottoir qui ne peut plus l'absorber, dans cette débauche de talons aiguilles et de cravates froissées. Les ombres se bousculent, s'excusent vaguement, entre exaspération et fatigue, s'enfuient. C'est un ballet fort étrange, de fait, devant la maison des Rats de France, et la seule mélodie que l'on en entende est celle de la vie qui s'ébruite.
 Murmure.

Mais qu'est-ce donc ? Un fou, au milieu de cette agitation. Un aliéné, sur le béton arraché. Les yeux fermés, les lèvres closes et le visage serein. Et ses mains qui dansent, sur les courbes invisibles de sa vision démentielle. Il tâte, il goûte, il sent. Il ressent chaque vibration, chaque frisson et semble s'en délecter, de ce léger sourire qui lui traverse le visage. Il est fou, oui, disent les regards fugaces des passants agacés par les mouvements lents de cet homme esseulé.
Fou.

Et pourtant. Volupté et quiétude. Ses yeux-amandes me rappellent la douceur pleine de ces hommes de prière, Himalaya glacé. Dire non, qu'il n'est pas fou, mais qu'il voit simplement ce que nous, pauvres pressés d'une vie sans répit, nous ne pouvons imaginer, sûrement. Il touche du bout de ses paumes renversées la tendresse du partage avec l'infini. Lentement, délicatement, il dénude l'invisible maîtresse, avec cette impression de sérénité emprunte de tristesse. Et j'aimerais me joindre à lui, tenter de découvrir ce que ses paupières abaissées lui livrent comme secrets.
Vivre.

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