Jeudi 30 août 2007 à 14:15

 Voilà la Reine. Elle se tient droite, sur son trône de marbre, tenant en sa main un sceptre d'or. Elle rayonne de mille feux, le regard tourné vers l'avenir. Majestueuse statue, elle s'offre aux regards curieux. Le vent se lève, caressant ses cheveux de bronze dans une énième étreinte. Mais elle est bien seule. Ses mains d'airain n'enserrent plus d'amants, ses lèvres de métal n'embrassent plus les cœurs. Elle est là, assise sur un trône de solitude, alors que les passants s'en vont, au cours du temps qui s'enfuit.

 Et je m'approche de toi, reine déchue. Je pose mes yeux avides sur ta carcasse décharnée, en réalisant le subterfuge. Tu n'es qu'une ombre pourrissante, dans un coin oublié. Ta peau tombe en lambeaux, feuille d'or déchirée. Tes yeux de rubis t'ont été volés par des brigands peu scrupuleux. Tes doigts fins se teintent de rouille, et ta toge est tachée. Que reste-t-il de la beauté illusion que tu nous accordais, de tes hauteurs sacrées ? Rien. Il ne reste rien. Ton cœur ne sonne plus l'amour, et ton corps ne respire plus la gloire. Tu n'es plus que les restes fumants d'une gloire fanée. Il ne reste de tes os que la poussière grisâtre du passé. Je pose ma main sur ton genou décrépi, et voilà qu'en tombent les vestiges des souvenirs grisants. Non, tu n'es plus rien, ma dame. Tu te décomposes lentement, alors que la boue laisse des traces noirâtres sur ton visage triste, larmes de souffrance d'une géante mise à bas. Ta puissance s'efface, et tes exploits se perdent. Ta couronne tombe, et ton héritier est mort. Ce matin, je vois ton vrai visage, femme corrompue. Je vois tes traits affaissés, et tes désirs fracassés. Je vois les traces du temps sur ta peau ridée, et les marques des hommes, cupides et veules, contre tes lèvres desséchées. Ils t'ont trompée, blessée et oubliée. Tu n'es qu'un lointain souvenir, beauté abandonnée, dans leur cœur décharné. Pleure, ma Reine, pleure sur ton sort. Laisse l'eau inondé cette sécheresse et nourrir ta peine. Emporte au loin les déchets qui se décomposent à tes pieds. Pleure, jusqu'aux âmes impies de ces êtres impitoyables. Le fleuve noie peut-être les regrets, jusqu'à la Dame de pierre, celle qui s'ouvre en dernier refuge, lorsque les esprits sont perdus. Cours jusqu'à elle, et jette-toi dans ses bras. Accepte son baiser de rédemption, et accorde ton pardon. Ils n'étaient pas prêts à te comprendre. Ils n'étaient pas prêts à te voir. Ils t'ont oubliée, dans l'espoir d'un avenir différent. Ils ont laissé les cendres et les carcasses te recouvrir, t'asphyxiant peu à peu. Balafrant ta peau, trompant ton âme, trouant tes rêves, ils ne t'ont laissé qu'un soupir frissonnant, une mince parcelle de conscience. Tu gis, à terre, démunie et dénudée, bleuie de coups et de trahison. Tu n'es plus qu'un cadavre vieillissant, une relique pourrissante. Avoue ma Reine, que tu as honte. Avilie, anéantie, tu te couvres le visage de tes mains raidies. Ha, ma Reine, je t'offre mon regard aiguisé, pour que tu y découvres la vérité blessée. Je ne suis qu'un médiocre serviteur de ta force passée, et je ne peux te rendre ton siège doré. Je ne peux que t'observer et noter ta décadence certaine. Tu n'es plus qu'une ombre, au détour des ruelles, face aux beautés naissantes.

 Et pourtant, ma Reine, je t'admire. Dans tes suffocations difficiles, je t'accompagne. Ta main gantée me tourne la tête, quand j'y sens les odeurs de pluie et de terre mouillée. Tes yeux arrachés, vides sanglants, sont aussi les tréfonds de ta délicieuse âme, ô combien tourmentée, mais à quel point admirée. Tes lèvres de vert se teinte d'une douce lumière, au levé du soleil, alors que tes tortionnaires dorment encore. Ton front, ceint de honte et de misère, relève encore de la fierté d'autrefois et les rides profondes de ton visage fiévreux me rappellent tes longues veilles paisibles. Mes yeux se posent sur ta robe grise, et se remémorent la fraîcheur de la soie blanche et l'éclat des pierreries. Tu étais grande, ma Reine, et chacun devrait s'en souvenir. Les vaisseaux de ton cœur s'effritent, mais le souvenir est gravé dans la tombe. Tu étais grande. Peut-être la plus grande. Et il ne faudrait qu'un souffle pour que tu le sois à nouveau. Mais déjà le jour se lève, et ils approchent. Je m'éloigne de ton corps fragmenté, doucement, sans un bruit, la tête baissée. J'entends un râle, dans la brume latente de la froide matinée. Je m'éloigne, et j'attendrai la nuit, douce femme éplorée, pour te présenter à nouveau mes hommages. Il est trop tôt. Il est trop tard. Simplement trop.


Ma Reine, tu n'es plus. Mais ma Reine, je te salue.


Un souvenir grisant d'une grise matinée. Le sentiment de tenir le fil.
Paris, tu étais bien laide et bien misérable, en ces froides lueurs du jour qui naît.

Lundi 27 août 2007 à 0:36

Etre un bout de bois, à la dérive sur un océan déridé. Oublier sa propre existence pour mieux ressentir le néant. L'absence devient essence, et chaque particule d'un corps à l'abandon s'offre à la caresse de l'anonymat. Il n'y a plus de nom, plus de raison, juste ce sentiment envahissant de désinvolte disparition. On ne se bat pas pour rester, non, on combat pour s'en aller. Fuite vers l'inconnu, toute bride abattue. Un lointain appel auquel on ne répond que par une longue complainte hurlante. Comme le monde est étrange, lorsque les coeurs s'emballent et les âmes s'envolent.

Les embruns m'enserrent, dans une étreinte à couper le souffle. Quelques mèches volent devant mes yeux aveuglés, dans une farandole sans ordre ni rythme. Je suis emmenée malgré moi dans cette danse frénétique, dramatique, diabolique. Une odeur saline, câline, sur une peau praline. Un son égrainé au creux des vagues, audacieux, doucereux, fallacieux. Et des mains qui courent sur mon corps, relevant les courbes, cassant les pointes. Je suis brisée, dans les bras de se monstre aux yeux d'azur. Je m'écroule, dans ses humides torpeurs. Et mes pensées sont absorbées, malheureuses victimes d'un massacre grammatical, entre les rochers saillants. Je suis à la merci d'un homme fort, d'un appétit insatiable, d'un coeur sans fond. Prise au piège dans les mailles glissantes d'un filet infini, je suis écrasée sous le poids du réalisme. Accepter de n'être, finalement, qu'une épave dans une mer inexplorée, sans boussole ni compas. Offrir son âme à la première aide venue, impromptue, sans savoir si elle vous mènera au port ou au grand large. N'être plus fait que d'insouciance et d'imprévu, sans la moindre vertu. Il est trop tard, le navire s'en va, derrière les ondées. Je monte, à grand pas, sur le pont de bois gravé. L'eau s'infiltre au cœur du monstre, me mordant la chausse. Je glisse, alors que la quille balance. En dehors, les maux de travers tanguent sous le mat. Allons moussaillon, contre vents et marées, à la découverte d'un monde sans nom. Une corne de brume, et la sirène plonge jusque dans les entrailles de cette mer désordonnée, jetant ses cheveux d'algues entre les rochers verdâtres. Je ne suis qu'ombre sombre, qu'on ne dénombre, entre les bras tentaculaires d'un corps démembré. Je m'effrite, illicite, dans un verre glacé. Et je ris. Je ris, sans fin, sans destin, d'une bouche édentée et tordue, sous la voûte tendue du ciel zébré. Je ne suis rien. Pour tout vous dire, cela me rassure, de n'être qu'une poussière obscure d'un jeu de fakir. Je m'y détends, m'y étends, m'y méprends. Et les vagues sauvages me happent, lorsque je m'enfuie en hâte.

Marée montante, mes amis. Il n'y ni haut, ni bas. Juste le silence brisé d'un océan capricieux. L'eau se mêle à la vie, et la vie s'emmêle à l'eau. Chacun se perd pour mieux se retrouver. Et c'est alors que s'envolent les dernières mouettes, vieilles gardiennes de ces secrets perdus, au creux d'une crique encastrée. Le mortel voit apparaître sa nature, et dans un cri de frayeur, tombe à la renverse. Peut-être trouvera-t-il la corde qui l'amènera au bastingage. Peut-être pas. Mais la corne de brume continue d'hurler, alors que les sirènes tordent leurs cheveux tressés. Passe, voyageur abusé, poète oppressé, âme tourmentée. Passe, mais n'oublie pas de goûter à la douceur d'un instant inexploré.


Oh, non, ce n'est pas un retour fracassant.
Ainsi soit-il. Nous verrons bien plus tard.

Mardi 10 juillet 2007 à 14:51

Les plaines s'étendent, immobiles et silencieuses, sous ton regard muet. Tu avances la main, tentes d'obtenir un soupçon de mstère au creux de ta main, mais les myriades scintillantes s'envolent loin de toi. Tes doigts se referment sur les espoirs trompés des coeurs oubliés. La nostalgie, en vaporeux nuages, vient t'ensserre, t'embrasser, puis t'étouffer. Tu t'écroules dans les herbes hautes. L'odeur âcre des fleurs fanées s'insinue en toi, te bâillonnant. Et tu ne sens plus ton corps, à peine ton esprit engourdi. Une croix de pierre, au loin, froide et fière, étend son ombre, aux rayons sanguinolent du couchant. Et alors même tes pensées te sont interdites. Seul compte cet instant présent.
Le cerisier en fleurs pleure doucement au chant de la nuit naissante. Les pétales blafards s'envlent, sous le ciel grisé. Pas un soupir, entre les cimes torude des arbres fatigués. Pas un murmure à la lisière du bois endormi. La plaine dort, dans la lumière crue de la lune jaunâtre. Il n'y a plus de place pour toi. Il n'y a plus de place pour l'Homme.
Alors tu te tais. Ton âme se referme, ta conscience disparaît. Ton corps devient terre et, allongé sur le sol, tu deviens air. Et le voyage commence, à travers les étendues cendrées. Les pierres grincent sous ton poids, sinistre rappel de ta propre existence. Les tiges torturées, aux fleurs abandonnées, ploient sous l'invisible présence de leur hôte trépassé. Au loin, un hurlement plaintif à la nuit. Le vent s'engouffre entre les toitures fragiles, arrachant les enfants à leur sommeil divin. Les Angélus, les las  Angélus ont quitté les cœurs corrompus, et les bambins apeurés ne les retiennent plus. Les draps déchirés, les meubles renversés et les femmes éplorées, les Angélus ont quitté. L'espoir s'est tu. Il ne reste plus que cette infime once de mystère, entre les ains des devins refoulés, lorsque leurs yeux de braise s'agitent et dévoilent les desseins cachés.

S
ous l'ombre de la croix de pierre, froide et fière, ton souffle s'enfuit peu à peu vers l'invisible. Et chacun te rejoint, dans cet interminable périple. Peut-être les Angélus veilleront-ils sur toi ?


Mais l'Infini est inconnu.
Les Angélus ont quitté. Ils ne sont plus que les ombres perdues, entre les hautes herbes.
Endors-toi, et pars à leur recherche, si le cœur t'en dit. Ils chantent sûrement leur complainte, au bord de la rivière, leurs cheveux d'or tressés en nattes fines.






Cloches chrétiennes pour les matines,
 Sonnant au coeur d'espérer encore!
 Angelus angelisés d'aurore!
 Las! Où sont vos prières câlines?

 Vous étiez de si douce folies!
 Et chanterelles d'amours prochaines!
 Aujourd'hui souveraine est ma peine.
 Et toutes matines abolies.

 Je ne vis plus que d'ombre et de soir;
 Les las angelus pleurent la mort,
 Et là, dans mon coeur résigné, dort
 La seule veuve de tout espoir.


Poème de Grégoire Le Roy (1862-1941)
Mis en musique par Claude Debussy (1862-1918)

Mardi 5 juin 2007 à 22:44

La nuit tombe à longs traits sur les fenêtres encrassées.


Il y a un masque sans expression, posé sur la table. Doucement craquelé, les joues blanches et les lèvres rouges, il dort. Sous son œil de vide coule une larme de suie, noirâtre. Elle se perd sur un menton fuyant et dans un cou inexistant. Quelques gouttes d'eau ont fait éclater le verni terni, et le bois se fend. Le front n'est plus qu'un ramassis d'éclats coupants, alors que l'arrête du nez est brisée. Quelques vêtements de scène traînent, de ci de là. Des chemises de satin, des pourpoints de velours. Quelques épées rouillées et des broches piétinées. La poussière a envahi l'estrade, le silence en a fait sa patrie. Il n'y a plus âme qui vive, ou presque. Il ne reste que ce masque abîmé par le temps et l'usage. Il respire encore, difficilement, en attendant le prochain spectacle. Ses cils battent, imperceptible, et ses lèvres entrouvertes laissent passer un léger souffle. Entre les fauteuils dorés et les vestes retournées, la figure sommeille, rêvant d'héroïsme et de passion. Quelques feuilles volètent, à côté de la fenêtre entrebâillée. Des tracts, certainement, pour quelque spectacle, alors que les lumières éclairaient les grandes enjambées et les envolées lyriques, que les applaudissements claquaient dans l'air confiné de la salle. Quelques roses volaient, rouges ou blanches, entre les rayons immaculés, sur les tuniques mordorées et les robes pourpres. Et le masque soupire, sous les lourdes tentures, écrasé par le temps qui s'écoule. Sa bouche se tord, ses paupières se plissent. Le vermeil fane, la neige fond. Il ne reste plus que la craquelure, en faut du front, jusqu'à l'arrête, et ces quelques tractes qui claquent au vent.

Je ne sais plus écrire, je crois.

Mardi 29 mai 2007 à 0:03

Les fenêtres restent ouvertes. Un vent froid coule, entre les rideaux de mousseline. Il y a comme un parfum de printemps tardif, une pointe d'hiver, peut-être. Le souffle fragile s'enroule autour d'épaules, dans un châle glacé. Le silence tombe. Chaque parcelle de peau soupire, tente de se dérober pour mieux se figer dans cette attente gelée. La lumière tremble, alors que la bougie s'éteint. Il n'y a plus un mouvement, plus un bruit. Juste cette larme brillante, immobile, entre ciel et terre, dans un équilibre précaire. Le cœur ne bat plus. La lumière se retire, craintive, sous la porte. L'obscurité tombe, opaque et odorante, derrière ce mur de cristal. Quelques flocons serpentent un bras offert, se perdent contre un poignet tiède. Ils fondent, entre des doigts fébriles. L'instant se meurt, l'éternité s'éveille.

Alors tu ouvres les yeux. Tes cils sont pris dans les brins cassants de la neige, alors que tes joues transparentes craquent. Un regard de glace, iris bleuté. Un souffle chaud s'allonge sur la poussière argentée, alors que ta tête penche doucement sur ton épaule. Ta peau diaphane accueille les frêles rayons de l'aube dans une tendre caresse. Dans un nuage de buée vaporeuse. Tes cheveux d'or blanc se détachent, mèche par mèche, sur la douce courbure de ton cou. Le Temps t'observe, de son temple de verre, et t'offre le répit d'une seconde. Eveille-toi, corps envoûté, de ce lourd sommeil. La glace quitte tes membres d'ivoire, et tes lèvres rosissent doucement, lorsque l'aurore te nimbe de sa chaleur. Il est temps, douce enfant. Temps d'ouvrir tes yeux d'opale sur un monde nacré.

Et le cœur reprend ses battements, douce rythmique. Les fenêtres se ferment doucement, sur ce corps encore engourdi, et les colombes se posent sur le balcon givré. Tes mains se posent, fines et légères, sur la poignée dorée de la fraîche matinée. Tu écartes la chevelure parfumée des premiers jours de Vie. Tu salues les premières âmes téméraires du Jour. Oui, il est temps. Temps de s'éveiller à nouveau sur ces pâles ombres et sur ces vulnérables arabesques. Et l'instant reprend son souffle. L'éternité se rendort.

Il était temps.

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