Et je m'approche de toi, reine déchue. Je pose mes yeux avides sur ta carcasse décharnée, en réalisant le subterfuge. Tu n'es qu'une ombre pourrissante, dans un coin oublié. Ta peau tombe en lambeaux, feuille d'or déchirée. Tes yeux de rubis t'ont été volés par des brigands peu scrupuleux. Tes doigts fins se teintent de rouille, et ta toge est tachée. Que reste-t-il de la beauté illusion que tu nous accordais, de tes hauteurs sacrées ? Rien. Il ne reste rien. Ton cœur ne sonne plus l'amour, et ton corps ne respire plus la gloire. Tu n'es plus que les restes fumants d'une gloire fanée. Il ne reste de tes os que la poussière grisâtre du passé. Je pose ma main sur ton genou décrépi, et voilà qu'en tombent les vestiges des souvenirs grisants. Non, tu n'es plus rien, ma dame. Tu te décomposes lentement, alors que la boue laisse des traces noirâtres sur ton visage triste, larmes de souffrance d'une géante mise à bas. Ta puissance s'efface, et tes exploits se perdent. Ta couronne tombe, et ton héritier est mort. Ce matin, je vois ton vrai visage, femme corrompue. Je vois tes traits affaissés, et tes désirs fracassés. Je vois les traces du temps sur ta peau ridée, et les marques des hommes, cupides et veules, contre tes lèvres desséchées. Ils t'ont trompée, blessée et oubliée. Tu n'es qu'un lointain souvenir, beauté abandonnée, dans leur cœur décharné. Pleure, ma Reine, pleure sur ton sort. Laisse l'eau inondé cette sécheresse et nourrir ta peine. Emporte au loin les déchets qui se décomposent à tes pieds. Pleure, jusqu'aux âmes impies de ces êtres impitoyables. Le fleuve noie peut-être les regrets, jusqu'à la Dame de pierre, celle qui s'ouvre en dernier refuge, lorsque les esprits sont perdus. Cours jusqu'à elle, et jette-toi dans ses bras. Accepte son baiser de rédemption, et accorde ton pardon. Ils n'étaient pas prêts à te comprendre. Ils n'étaient pas prêts à te voir. Ils t'ont oubliée, dans l'espoir d'un avenir différent. Ils ont laissé les cendres et les carcasses te recouvrir, t'asphyxiant peu à peu. Balafrant ta peau, trompant ton âme, trouant tes rêves, ils ne t'ont laissé qu'un soupir frissonnant, une mince parcelle de conscience. Tu gis, à terre, démunie et dénudée, bleuie de coups et de trahison. Tu n'es plus qu'un cadavre vieillissant, une relique pourrissante. Avoue ma Reine, que tu as honte. Avilie, anéantie, tu te couvres le visage de tes mains raidies. Ha, ma Reine, je t'offre mon regard aiguisé, pour que tu y découvres la vérité blessée. Je ne suis qu'un médiocre serviteur de ta force passée, et je ne peux te rendre ton siège doré. Je ne peux que t'observer et noter ta décadence certaine. Tu n'es plus qu'une ombre, au détour des ruelles, face aux beautés naissantes.
Et pourtant, ma Reine, je t'admire. Dans tes suffocations difficiles, je t'accompagne. Ta main gantée me tourne la tête, quand j'y sens les odeurs de pluie et de terre mouillée. Tes yeux arrachés, vides sanglants, sont aussi les tréfonds de ta délicieuse âme, ô combien tourmentée, mais à quel point admirée. Tes lèvres de vert se teinte d'une douce lumière, au levé du soleil, alors que tes tortionnaires dorment encore. Ton front, ceint de honte et de misère, relève encore de la fierté d'autrefois et les rides profondes de ton visage fiévreux me rappellent tes longues veilles paisibles. Mes yeux se posent sur ta robe grise, et se remémorent la fraîcheur de la soie blanche et l'éclat des pierreries. Tu étais grande, ma Reine, et chacun devrait s'en souvenir. Les vaisseaux de ton cœur s'effritent, mais le souvenir est gravé dans la tombe. Tu étais grande. Peut-être la plus grande. Et il ne faudrait qu'un souffle pour que tu le sois à nouveau. Mais déjà le jour se lève, et ils approchent. Je m'éloigne de ton corps fragmenté, doucement, sans un bruit, la tête baissée. J'entends un râle, dans la brume latente de la froide matinée. Je m'éloigne, et j'attendrai la nuit, douce femme éplorée, pour te présenter à nouveau mes hommages. Il est trop tôt. Il est trop tard. Simplement trop.
Un souvenir grisant d'une grise matinée. Le sentiment de tenir le fil.
Paris, tu étais bien laide et bien misérable, en ces froides lueurs du jour qui naît.