Etre un bout de bois, à la dérive sur un océan déridé. Oublier sa propre existence pour mieux ressentir le néant. L'absence devient essence, et chaque particule d'un corps à l'abandon s'offre à la caresse de l'anonymat. Il n'y a plus de nom, plus de raison, juste ce sentiment envahissant de désinvolte disparition. On ne se bat pas pour rester, non, on combat pour s'en aller. Fuite vers l'inconnu, toute bride abattue. Un lointain appel auquel on ne répond que par une longue complainte hurlante. Comme le monde est étrange, lorsque les coeurs s'emballent et les âmes s'envolent.
Les embruns m'enserrent, dans une étreinte à couper le souffle. Quelques mèches volent devant mes yeux aveuglés, dans une farandole sans ordre ni rythme. Je suis emmenée malgré moi dans cette danse frénétique, dramatique, diabolique. Une odeur saline, câline, sur une peau praline. Un son égrainé au creux des vagues, audacieux, doucereux, fallacieux. Et des mains qui courent sur mon corps, relevant les courbes, cassant les pointes. Je suis brisée, dans les bras de se monstre aux yeux d'azur. Je m'écroule, dans ses humides torpeurs. Et mes pensées sont absorbées, malheureuses victimes d'un massacre grammatical, entre les rochers saillants. Je suis à la merci d'un homme fort, d'un appétit insatiable, d'un coeur sans fond. Prise au piège dans les mailles glissantes d'un filet infini, je suis écrasée sous le poids du réalisme. Accepter de n'être, finalement, qu'une épave dans une mer inexplorée, sans boussole ni compas. Offrir son âme à la première aide venue, impromptue, sans savoir si elle vous mènera au port ou au grand large. N'être plus fait que d'insouciance et d'imprévu, sans la moindre vertu. Il est trop tard, le navire s'en va, derrière les ondées. Je monte, à grand pas, sur le pont de bois gravé. L'eau s'infiltre au cœur du monstre, me mordant la chausse. Je glisse, alors que la quille balance. En dehors, les maux de travers tanguent sous le mat. Allons moussaillon, contre vents et marées, à la découverte d'un monde sans nom. Une corne de brume, et la sirène plonge jusque dans les entrailles de cette mer désordonnée, jetant ses cheveux d'algues entre les rochers verdâtres. Je ne suis qu'ombre sombre, qu'on ne dénombre, entre les bras tentaculaires d'un corps démembré. Je m'effrite, illicite, dans un verre glacé. Et je ris. Je ris, sans fin, sans destin, d'une bouche édentée et tordue, sous la voûte tendue du ciel zébré. Je ne suis rien. Pour tout vous dire, cela me rassure, de n'être qu'une poussière obscure d'un jeu de fakir. Je m'y détends, m'y étends, m'y méprends. Et les vagues sauvages me happent, lorsque je m'enfuie en hâte.
Marée montante, mes amis. Il n'y ni haut, ni bas. Juste le silence brisé d'un océan capricieux. L'eau se mêle à la vie, et la vie s'emmêle à l'eau. Chacun se perd pour mieux se retrouver. Et c'est alors que s'envolent les dernières mouettes, vieilles gardiennes de ces secrets perdus, au creux d'une crique encastrée. Le mortel voit apparaître sa nature, et dans un cri de frayeur, tombe à la renverse. Peut-être trouvera-t-il la corde qui l'amènera au bastingage. Peut-être pas. Mais la corne de brume continue d'hurler, alors que les sirènes tordent leurs cheveux tressés. Passe, voyageur abusé, poète oppressé, âme tourmentée. Passe, mais n'oublie pas de goûter à la douceur d'un instant inexploré.
Ainsi soit-il. Nous verrons bien plus tard.
Je ne ferai pas tout un blabla.
Mais te dis juste que j'aime te lire.