Jeudi 6 mars 2008 à 22:14

Il enlève son manteau, enveloppé de cette lenteur propre aux hommes fatigués. Quelque chose de fané dans son regard presque transparent, alors que ses mains froides et ridées se promènent encore sur la laine râpée. Ce n'est qu'une ombre, presque, reflet fragile d'une âme presque effacée, dans un temps qui n'est plus sien. Je l'observe, distraite, alors que quelques cheveux sur sa tête penchée frissonnent à une brise invisible. Il se retourne, me dévisage, et pourtant je sais que ce n'est pas mes yeux qu'il dévore. Non. Ce n'est qu'un passé lointain et décousu que sa cécité lui fait redécouvrir, alors même que son menton tremble. Il n'y a plus rien à faire qu'attendre que sa promise vienne l'attirer à elle, doucement, de son voile soyeux. Ah, vieil homme aux genoux douloureux, que fais-tu encore là ? Ce n'est plus qu'une épave qui te soutient, entre marée et noyade, et ton esprit vogue bien au-delà. Qu'attends-tu encore, alors ? Il n'y a plus rien ici qui te retienne. Rien d'autre, peut-être, qu'une aurore toujours plus aveugle.
Les parfums s'évaporent, alors que tes muscles se raidissent. Puis le silence. Peut-être.


Maybe you've just buried your last love ?

Lundi 25 février 2008 à 11:22

J'avance, lentement. La foule m'engloutit, et je me retrouve dans cet élément étrange, si fort, si froid, si faible, si chaud. Les corps m'encerclent et me dévorent, alors que les regards me brûlent. Et pourtant.

J'observe les pas affairés des dames fatiguées, le long du trottoir. Leurs parfums capiteux se répandent le long des gouttières, fanant dans le caniveau. Talon sur béton, petit pas cassé. Elles sont belles. Ou presque, toutes dégoulinantes d'absence et d'indifférence, reines de dédain.
J'affectionne les messieurs aigris, effluves puissantes et entêtantes. Leurs bras se tordent dans des costumes trop bien taillés, contre peau exténuée. Et cela me rappelle les étreintes musquées de nuits presque oubliées. Peut-être.
Les yeux à quelques enjambées de là, je dérive. Mon esprit se glisse entre les chemisiers tendus et les mains sèches, et je ressens la douce violence de leur détachement. Ils m'approchent, me frôlent et m'enrôlent. Leurs attitudes se mêlent aux miennes, et je suis prise dans un jeu qui n'est pourtant pas mien. C'est drôle, en fait. Leur arrogance suffisante me cajole, me rappelant que je ne suis personne. Quiétude et accalmie sur mon cœur qui cesse un instant de trembler. Cette suave vérité m'enveloppe de ses bras veloutés pour mieux m'absorber. Je suis fragile à en mourir, dans un océan de non sens affriolants, et cette finitude presque morbide me rappelle l'insignifiance de mon existence. Doux sucré, sur mes lèvres froissées. La soie me caresse, entre les boulevards dorés d'une ville aux mille perversions. Je souris. J'ai le bonheur presque insensé des instants trop simples, d'une lucidité aveuglante. Les sensations d'incertitude et de doute pénètrent mes veines, me tailladant sensuellement la raison. Les silhouettes continuent d'affluer tout autour de moi, m'abandonnant à cette surprenante léthargie. Talon-béton, au revoir-trottoir.

Je ne suis personne. Et pourtant je suis. Peut-on seulement dire « je », alors ?

Lundi 7 janvier 2008 à 22:07


Il y a ce roulement, dans le fond du ciel grisé. Une sorte de complainte marine qui se noie dans la plénitude d'un instant d'éternité. C'est doux, c'est flou. C'est la mer qui s'enroule autour de mes chevilles, petit serpent aux dents pointues qui me rappelle à ces eaux trop fougueuses qui m'entraînent. La fragilité de l'Homme est là, sous la beauté sauvage d'un monde qui se faufile hors du temps. Ephémère. L'écume me fouette le visage. Je suis là, face à la tempête qui menace, le cœur-fagot posé sur les vagues qui se déhanchent. Arrache cœur, arrache cœur, je suis à toi. Ouvre tes bras métalliques sur mes jeunes espoirs battants, pour me rappeler les mots tendres-arides d'une âme qui se flétrit. Cliquetis, dans la nuit noire, qui se referment lentement sur mes quelques rêves, naïveté éhontée.
La mer continue de rouler sur mes pieds gelés. Elle aime à glisser ses mains doucereuses sur ma peau rêche, ressac entêtant. Je suis perdue, dans les méandres de la mélodie talentueuse de cette entité monstrueuse. Alors je m'assieds, silencieusement, dans le sable qui dévore mes doigts. Le vent siffle entre mes cheveux qui volètent lourdement. Arrache cœur, oui, lorsque l'océan écrase sa lourde masse sur ma frêle carcasse encore tiède. Je ne suis qu'un corps, dans l'immensité d'une humanité qui vole en éclat. Le rideau de nacre s'est ouvert sur la scène implosée, et un hurlement s'est élevé. La mer l'a englouti, comme les autres. Silence.



Oui, je suis à toi, Arrache Cœur.


Samedi 1er décembre 2007 à 22:28


Et ces pétales rosés, sur ton visage de porcelaine.


Les saisons s'effacent, alors que le temps se tourmente. Le cerisier est en fleur, au printemps premier, alors que l'hiver retire ses froides couvertures de ta peau diaphane. Tu es la rosée printanière, dans ce renouveau. L'eau qui se ride, comme la soie qui se froisse, alors que ton corps ondule entre deux mondes. Tu es la reine des quêtes perdues, celle qui porte en son sein la fortune d'un monde disparu, d'une époque révolue. Tout n'est qu'une danse sans fin, que tu orchestres de tes fraîches mains. L'eau coule entre les verts bambous et tu offres la dernière escapade vers l'infinitude. L'aube s'est levée dans ton regard transparent. Il est presque temps.
L'or brille, dans le bois verdoyant. Il se mêle au bronze et à l'aurore, dans un indicible chatoiement. Le turquoise s'y glisse, reflet lumineux d'un ailleurs aux contours incertains. Le labyrinthe tracé sur ton corps de satin se dévoile, et l'on s'y plonge. Le silence tombe, dans un léger soupire qui s'étiole sur des chemins oubliés. Saura-t-on jamais ces secrets enfouis sous les ceintures opales ? Les richesses s'écoulent, lent fleuve de doux regrets, sur tes bras dénudés, et c'est la mélancolie de cette brise qui te caresse le visage. Il y a au loin, dans le crépuscule des angelots, quelques sourires qui s'étirent encore. Rien n'est terminé, alors que rien n'a commencé. Quelques notes s'envolent.
Ce n'est pas un hasard, non, mon doux mirage, si tes yeux de mer se voilent. L'Arbre répond nonchalance, alors que ton parfum s'abandonne. Ce n'est pas justice. Ce n'est que langueur destructrice, aux rebords d'une vie achevée. Et pourtant. Il existe ces quelques bourgeons rosés, sur la branche tressée. Ils frémissent, délicats, dans la fragilité de cette seconde fatidique. Tes doigts s'y mêlent, tendresse, dans les dernières heures d'un monde qui disparaît. Pourra-t-on retrouver ces mots que tu as déposés sur la tombe fanée ? Peut-être jamais. Mais ce n'est que la perfection de cet instant dérobé qui importe, alors même que tout s'écroule. Ne resterons que les faibles sanglots de la maîtresse assoupie, témoins silencieux d'un univers qui s'en est allé.


Et ses larmes coulaient, perles soyeuses, sur ta peau endormie.


Samedi 15 septembre 2007 à 21:33

    C'est un amour fictif, une rencontre furtive. Ce n'est que l'illusion fallacieuse d'un sentiment partiellement faux. Ah, c'est drôle. Je m'enfonce les ongles dans la paume de la main pour me convaincre de cette nouvelle condition. Je m'y efforce, tout du moins. Frustration, dans cet éclair grisé. Une vitre teintée et des rires qui fusent. Mon cœur s'est retourné, dans un soubresaut fatal. Tu étais assis, nonchalant, sur cette chaise tressée. La fumée t'offrait ses bras protecteurs, alors que ta tête penchait dangereusement sur ce sourire effacé. Tes yeux de mer m'encerclent et me noient. C'est doux, c'est fou. Ce n'est qu'une illusion, mais elle me parait éternelle, tout comme cette existence – si je puis dire – qui s'éternise sans raison. Tes cheveux de blé s'épandent sur tes épaules dorées, alors même qu'une lueur éclaire ton regard. Je ne suis plus. Je me fonds dans cette tendresse inconnue. La tendresse de l'infini, en quelque sorte. L'infini de l'amour qu'on ne connaîtra jamais. J'aime à te croire mien, cher innommé. A imaginer tes mains fines et nerveuses sur ma peau fébrile. A penser tes lèvres douces sur ma nuque frissonnante. Tu es le rêve implicite de ma vie, celui qui m'aurait peut-être éclairée. Mais cette seconde est écoulée. Elle n'est plus. Ton sourire s'est effacé dans le rétroviseur de ma destinée, tu n'es plus qu'un songe décomposé. Une image sans forme, une odeur sans parfum, un son sans prononciation. Tu ne portes ni nom, ni âge, ni entourage. Tu es le prophète des non-dits, certainement. Le roi des insinués.
    Je ris. Je jette mes cheveux au vent, ceux qui ne sont qu'ébène et qui manquent de la lestée de ta blonde chevelure. Il y a un vide, désormais, comme un regret qu'on ne comprend pas. Tu n'as été qu'un instant anonyme dans ces heures d'égocentrisme, et cela me trouble. Ombre dans une rêverie trop sombre, je ne vois que tes traits qui se dissipent. Ô rage, ô désespoir, comme disent les dramaturges. Tu es le protagoniste qui meurt dans son sang, à la fin de la tragédie, en professant ces paroles tristes et angoissantes d'un amour sans lendemain. Oui. Tu es mon prince maudit qui se terre dans ses regrets cendrés. Ah, prend moi donc dans tes bras, cœur exsangue, pour me montrer la profondeur de tes sentiments. Je ne suis pas reine, mais je t'offre l'espérance de ce moment éphémère. Oui. Je te l'offre. Avec ce que tu voudras prendre de moi, encore. Je suis comme cette rose pâle d'un matin blafard, avec ses pétales qui s'effeuillent, entre blanc, rose et jaune. C'est une jupe froissée, une farandole brisée. Quelques couleurs qui s'entremêlent et se dévisagent. Chaque parcelle se détache et se fane dans un voluptueux soupir d'extase. Cette rose passe, comme mon corps qui se dégrade. Mais il y a ce cœur perlé qui se meurt de n'atteindre l'air. Cet air que tu avais insufflé en mes pensées. Chevalier, je me meurs. Dans cette attente latente, je disparais. J'emporte avec moi ce souvenir controversé. Je suis coupable. Coupable d'avoir été, durant cette seconde d'inattention.


« Je pense, donc je suis. » R. Descartes.
C'est étrange, je ne sais pas s'il faut y croire.

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