Tiens, la lune ne se lève pas. Il n'y en aura pas, cette nuit. La seule qui aurait encore pu éclairer ces quelques parcelles de peau s'est endormie, et a oublié son rendez-vous. La voix lactée se fait sombre, et le trafic stellaire tombe. Chacun se repli sur son morceau de ciel, et on attend l'aube, pour ne pas se heurter. La ville se meurt, doucement, sous le vide glacial. Quelques gyrophares, quelques sirènes, mais on se fait discret. L'atmosphère tamisée se fait lourde, et chaque souffle devient rauque. Une main plaquée sur la bouche, on se retient de respirer, en apnée précaire. Les chiens hurlent à la mort, et les volets claquent. Quelques diaphanes présences se glissent entre les pierres froides, irréelles. Un vent froid se lève, et les bougies sont soufflées. Il ne reste plus que la faible lueur des regards fiévreux, collés aux fenêtres embuées. Des doigts trop gras qui laissent des traces brillantes sur le verre poli. Des haleines acides qui tracent des cercles blanchâtres sur le carreau bleuté. Un nuage de poussière, et on s'endort, le front contre cette froide surface.

Et pendant ce temps-là, quelques ombres s'agitaient dans la profondeur de l'obscurité. Tenter de trouver une issu, au lieu de tourner en rond, dans cette pièce sans porte, quitte à se jeter dans les buissons par la fenêtre et à s'écorcher. Il est encore temps de s'évader, là où la Raison ne vous attrapera pas. Partez à l'aventure, jeunes cœurs hardis, pour les âmes perdues et les rêves abandonnés. Partez pour ces terres oubliées et ces projets effacés. N'oubliez pas vos envies et votre impétuosité, avant que l'âge ne vous les vole pour en faire une bouillie informe. Protégez vos esprits indomptés de cette lobotomisation. Fuyez donc, par cette nuit sans étoile, ce monde uniforme et sans couleur. Partez, simplement.

La nuit ne se fait que plus étouffante. Les bruits de pas précipités se perdent au coin du jardin obscur, et chacun sent en son âme la vibration puissante d'un ailleurs trop proche, mais inaccessible. Une étreinte de trop, et le couvercle saute. Les rêves se déversent en torrents de boue noirâtre, se mêlant au dégoût et au regret. Voyez cette saleté à vos pieds, qui ronge doucement vos chaussures mal cirées. Les larmes coulent à flot, sur vos joues éraflées, et brûlent les jeunes cicatrices de votre visage amaigri. L'amertume s'insinue, oui, et ne vous quitte plus des yeux. D'un air malin, elle se joue de vous. Son regard malsain se faufile partout, et vous dénude sans retenue. Les mains sur votre poitrine, haletant, vous vous recroquevillez, incapables de supporter la rancœur qui se dégage. Ayez honte, allez, de ce que vous avez pu penser. Balancez vos confessions sur le banc des accusés, et n'attendez pas que l'on vous sauve. Il n'en tient qu'à vous.

Ce soir, la nuit est sans lune.
Il y a cette absence dans vos yeux et ce silence dans vos cœurs.
Et un rire lugubre, dans la plaine, ou galopent quelques âmes enhardies.