Dimanche 21 octobre 2007 à 18:18

    Tourbillon. Je m'abandonne à l'exquise douceur de cette lassitude. Mes pieds frôlent le parquet trop froid, entre automne et soupir, et les feuilles mortes tombent sans un bruissement dans la tempête à venir. Il y a comme une bouffée de chaleur qui s'engouffre, soulevant délicatement les fins rideaux de soie. Transparence et retenue.


    Andante Sostenuto, la tête haute et la poitrine bombé, pour ces quelques secondes de répit. Celles qui sont attribuées aux trompettes triomphantes et aux trombones résonnants. C'est une illusion, mais on le sait déjà. Moderato Con Anima, et les cordes vibres. Il y a cette agitation sourde, ce halètement soudain, comme un danger silencieux qui s'approche, vous guète, et vous happe. Moderato Assai, Quasi Andante. Rasseyez vous, le spectacle se gèle dans d'indéchiffrables soli de hautbois qui se mêlent, s'emmêlent et se démêlent sans jamais se quitter. Allegro Vivo. Enfin, le voile se déchire et les notes s'entretuent. Il y a ce désespoir, au creux des cors qui s'endorment, au loin, dans un forêt humide et oubliée, sans laisser de traces. Le fauteuil craque un peu, alors que je m'étire. Je suis parcourue de ces quelques parcelles d'être intemporel. Il y a une existence qui coule dans mes veines, étrangère à la première. Une sorte de dédoublement sans nom ni raison, la simple vision d'un autre soi, ailleurs. La neige tombe à gros flocon, et la soie s'est transformée en velours. Bourrasque, et je bascule. Les ponts sont décorés de dorures ternies, alors que les carrosses s'avancent, dans l'air perturbé que les chevaux mâchonnent entre leurs mors. Une boue grisâtre se faufile sous mes pieds, filant dans d'invisibles gouffres, sous la route pavée. Les feuilles tourbillonnent, ici aussi, rares et odorantes. Les dômes givrés se drapent dans leur manteau de glace, laissant apparents ces quelques atours colorés. De la fourrure et de l'or, tandis que le bronze se mire dans le turquoise. Ces dames se couvrent contre le vent qui se lève doucement, alors que la ville s'assoupit, derrière l'opéra de verre. Les statuts s'élèvent fièrement, dans le ciel tourmenté de cette cité aux mille visages, et les fusils font résonner leur sinistre mélodie. Et là, avec sa redingote élimée, je retrouve mon ami rôdeur. Il traîne entre les places, à l'abri des arbres qui se plient et se déplient. Il monte les marches du palais et les échelons de la vie, sans jamais reprendre son souffle. Ce n'est que la continuité exiguë de ces jours monocordes qui pleuvent sur lui et sur son chapeau fatigué. Marche, compagnon de réflexion, entre les passants étourdis et les messieurs au visage crispé. Ta main s'échappe en lourdes envolées solitaires, alors que le papier se froisse. L'encre coule et les sentiments s'offrent en pâture aux inconnus incompréhensifs. En de rares exceptions, tu leur présentes ce sourire si faux, pour que les richesses brillent par-dessus cette épaule lassée. De longues soirées posées sur des plateaux d'argent, pour que sa Majesté se délecte de mensonges et d'apparences. Etouffer sous les lourds atours de l'étiquette, sans jamais se demander où l'on est. Alors que toi, pauvre homme, tu observes douloureusement tes mains qui tremblent, à la lueur d'un hiver naissant. La clarinette se jette dans de terribles plaintes, hurlant après cette libération qui n'arrive pas. Les violons se complaignent, dans la froidure insoutenable de la nuit qui tombe. N'allumeras-tu donc pas la chandelle qui brûle en ton cœur, une dernière fois ?
    Andantino In Modo Di Canzone. Je m'allonge. Le lit est froid et l'âme gèle lentement dans son enveloppe charnelle. Cent jours se sont écoulés, et tu es toujours penché sur ce papier griffonné. Tu t'acharnes avec la force du désespoir, alors même que tes plumes ébréchées se taisent dans la sécheresse et la stérilité de leur œuvre. Minuit sonne au clocher. La bougie a été allumée, et quelques gouttes de cire abreuvent tes pensées disparates. Les violons se sont apaisés et entament cette douce et triste litanie. Tu leur avances une valse binaire, dans l'espoir de les attraper lors d'un contre temps. Les cors enivrés se livrent à ton bon vouloir, alors que la flûte cristalline s'élance en d'interminables arpèges décousues. Fantastique montée aux tréfonds de l'âme. Frémissement et délectation. Des images me viennent. Ces flocons qui dansent à la fenêtre, contre les quelques gouttes de givre chaud, me hantent lorsque le feu s'éteint et que les cœurs sont à nu. Et cette flamme dans tes yeux, qui me consume hors du temps, même lorsque les notes se sont endormies sur ces meubles poussiéreux. Les lettres s'entassent et ton cœur déborde. Il s'épand et se répand sur cette feuille jaune, entre le verre de vin et les essais rayés. Le hautbois s'affirme à nouveau. Tu t'écroules.
    Minuit, neuf minutes et cinq secondes. On tourne la page. La plume ébouriffée retourne à l'encrier pour quelque éphémère instant. Une marche militaire, dans l'air vacillant de la maladie. A moins que ce n'en soit pas une. Ton mal-être grandit et te dévore peu à peu l'esprit, sans jamais que les mots ne te quittent. Et les mots s'associent à cette angoisse musicale. Les lettres continuent de s'entasser. Les adressent commencent doucement à s'effacer, sur le piano sommeillant. Les fières trompettes s'élancent, sveltes et fringantes, dans ton esprit détraqué. Les pizzicati s'enchaînent et se déchaînent, fulgurant appel à l'aide, caché par ces notes guillerettes. L'anonyme s'endort, sans reconnaître l'auteur. Il n'y a que façade et faux semblants. Tes yeux fous et exorbités dansent, sans fin, mais l'autre ne fait que passer. N'oublie pas le parfum de ces passants innommés, de ces silhouettes effarouchées et de ces ombres arrachées. C'est un rêve, ami abandonné. Une sorte de songe sans échappatoire qui te ronge. Les confidentes se défilent, et les heures passent. La page s'emplit d'accords triomphants et de bariolages intempestifs. Une sorte de bal auquel les notes se pressent, se cognent et se démangent, sans jamais pourtant se déranger. C'est étrange comme tu assembles les morceaux de ta toile inachevée pour mieux rendre à ce paysage morne ces quelques éclats volés.
    Allegro Con Fuoco. Les hommes en uniformes s'avancent et t'étreignent. La foule lance des fleurs, et les tambours marquent la cadence avec ferveur. Les enfants courent dans les rues aux myriades multicolores, alors que les femmes chantent quelques poèmes. L'eau et le vin se mêlent, le pain se brise et les ventres s'emplissent dans un joyeux tintamarre. Mais toi, mon poète maudit de mots trop différents, tu continues de traîner ta frêle carcasse dans le sillage de ces corps. Indifférence et dégoût, peut-être. Tes mains tremblent encore un peu, même si les frayeurs de la nuit se sont glissées en dehors de ta chambre moite et tiède. Ce monde n'est pas le tien. Ni le mien, de ce fait. Tu m'y as entraînée, taciturne compagnie. Je suis attachée à ton corps sans forme, à ton âme sans loi, à tes souvenirs sans couleur. Ce n'est qu'un jeu que tu m'imposes, celui de me briser contre tes propres peurs. Je m'y prends. Les violons tanguent, les basses vacillent, et l'orchestre trébuche. Les doutes m'assaillent aussi violemment que la pluie me ramène à moi.


    Il est presque une heure. La nuit enroule autour de ses fragiles épaules un délicat châle étoilé. La musique tourne toujours autour de moi. Les feuillets se sont échappés de mes mains assoupies, et se sont éparpillés sur le sol veiné. La bougie s'est éteinte. Et dans cette obscurité pantelante, je cherche encore ta présence emprunte de nostalgie. Il y a encore un parfum de mélancolie tragique, à mon poignet, et une sorte d'amertume dramatique sur mes lèvres sèches. Ce nom qui résonne et s'accorde sans diapason à mon oreille gauche. Entre T et I. Selon les appellations. Celles de mon cœur épris.


Par Ch0u.Fleur le Dimanche 21 octobre 2007 à 20:14
Ainsi donc la musique te sauve ?
Curieux.
(Ou pas.)

___*

Ce texte est sublime Marie.
Par Marie.Amelie le Lundi 22 octobre 2007 à 19:42
Oui, Amélie la fantastique, Amélie la géniale, Amélie la toute-puissante; on m'appelle?
Par Marie.Amelie le Mardi 23 octobre 2007 à 21:20
Oui le rose c'est très provisoire mais je suis nulle en habillage. (Comme si on n'avait pas vu.)
C'est cool que tu t'appelles Marie, j'connais plein de Maries. Non y a pas de s mais je trouve ça drole (oui j'ai mangé du clown.)
Par suspendue le Vendredi 2 novembre 2007 à 19:59
Ca faisait longtemps que je n'étais pas venue, et je constate qu'après avoir lu trois mots, on est obligée de finir le texte ^^
Beuzou*
 

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