Il y a comme un parfum Apollinaire dans l'air. Une ritournelle qui ne s'arrête que pour observer les passants éberlués. Assis à une table, mon poète maudit ressasse ses idées noires, en sombrant dans l'anonymat des pauvres. Il sirote son ambre, sans conviction, la jambe au fût, le bras au tronc. C'est un être étrange que mon ami joli qui se croit maître du monde, de son verre ébréché, de son air éméché. La flammèche se tord et se cambre, alors qu'il la suit, hagard, s'enfuir dans une brume éthérée. Ô oui, il est beau mon compagnon éploré, sur sa table grasse affalé, regardant passer les demoiselles effarées et les damoiseaux égarés. C'est une danse, oui. Une sorte de polka où les pieds fous se renversent, emmenant avec eux les têtes fragiles des cous brisés.
C'est dans mon verre que je me vois.
Apollinaire s'est couché, Zola s'est relevé. Une tombe ouverte sur un monde à découvrir, peut-être. La mort n'est qu'une étape, qu'un passage obligatoire dans une vie trop courte. Ou trop longue. Sartre me glisse quelques mots, au passage. Comme quoi l'Enfer, c'est les Autres. Ah, copain de route de ton livre effeuillé que la sagesse folle accompagnait dans ses errances nocturnes. C'est un sourire que tu m'offres, comme une escapade volée. Je marche dans tes pas, tentant de retrouver tes paroles envolées. Papier engorgé, plume débordée, tes mots tanguent et s'enchevêtrent sans se rejoindre. Quelle parade insolite, me diras-tu. Je ne t'ai pas terminé. Tu n'es qu'une ébauche, tout comme mon écrivain damné d'un paragraphe inachevé, qui se mirait dans les yeux des filles entichées. Un jour, peut-être, un point final au bout d'une sinueuse ligne. Mais ce soir, complice abandonné, je te laisse à ton triste sort, celui de te faire décortiquer, encore et encore, par ces écervelés.
Et c'est dans mon verre que je me noie.
Ah, je l'avais oublié, de ce fait, mon monsieur Z. Celui qui zèbre, oui, entre l'absinthe et la prune. Un fond troublé qui se fond au palet. Redondance. L'eau est d'or, et c'est une rarissime denrée qui te fait délirer. Délier. Je ne sais. Ta main est tombée du bois crasseux, et tes doigts tracent des cercles circonflexes avec les charbons complexes d'un feu éteint. Celui de ton cœur lassé, peut-être, qui sait ? Peut-être un contemporain te rejoindra-t-il, dans la cour des miracles, sans t'offrir cette liqueur salvatrice. Tout n'est que mélange, car tes pensées se tournent vers un tout autre. Non, je ne te parle pas de celui-là, mais très certainement d'un autre. Un escalier tortueux, dans une montée démoniaque vers la déchéance abîme. Chemin entrecroisé de routes écartées, dans un dédale sans raison. Je vous l'accorde, c'est sans issue. Mais peut-être est-ce ainsi, au fond de ce verre sale, emplit de feu sans ardeur. Une sorte d'illusion. Celle de votre vie, mes amis, dans le reflet tremblotant de cette vérité amoindrie. Un Mentir-Vrai, peut-être, pour ne plus citer. A. A. B. H. S. Z. Ce ne sont que des lettres, celles que l'on vous attribue. Attribut. Tel celui du sujet, assurément. Ne m'en voulez donc pas. Je m'en reviens à vous, docile. Mais vous êtes à ma merci, entre les larmes noires des écrits vandalisés.
Et rire, jusqu'à plus soif. Plus faim. Plus envie. Au clair de lune, les auteurs me font révérence et les poètes maudits m'enveloppent de leur cape sombre. Je suis d'eux, sans jamais les frôler. Exaspération.
Post scriptum :
Garcin
« Le bronze… (Il le caresse.) Eh bien, voici le moment. Le bronze est là, je le contemple et je comprends que je suis en enfer. Je vous dis que tout était prévu. Ils avaient prévu que je me tiendrais devant cette cheminée, pressant ma main sur ce bronze, avec tous ces regards sur moi. Tous ces regards qui me mangent… (Il se retourne brusquement.) Ha ! vous n'êtes que deux ? Je vous croyais beaucoup plus nombreuses. (Il rit.) Alors, c'est ça l'enfer. Je n'aurais jamais cru… Vous vous rappelez : le soufre, le bûcher, le gril… Ah ! quelle plaisanterie. Pas besoin de gril : l'enfer, c'est les Autres. »
Jean-Paul Sartre, Huit clos.
Même si nous n'en avons peut-être pas le droit, ou l'autorisation.
(Notions à étudier.)
(Notions à étudier.)
Je viens de lire un article magistralement bien foutu, et, quitte à passer pour une piètre inculte (les références, s'il y en, ne me reviennent pas), je veux en avoir le coeur net : c'est TOI qui a écrit tout ça, ou tu as tiré des extraits de l'oeuvre de certains auteurs ?
Je pense, et j'espère sincèrement que c'est de ta plume.
Je te tire mon chapeau (et bien bas), ton talent m'éblouie...
Au plaisir.