Y a des hommes qui dorment sous les ponts, là.
Le monde, ce n'est plus qu'une petite carte. On y inscrit les îles à conquérir de béton armé, d'appareil photos mitraillette. Chaque centimètre doit être rentabilisé selon logique de marché, avec dérivées et probabilités en main. Chaque molécule O2 doit être changée en CO2, en N, ou je ne sais quelle lettre tirée de cet alphabet maladif. Et puis construire. Ah, ça, c'est votre libido, n'est-ce pas ? Arracher la virginité, la remplacer par la repoussante hideur de votre imagination. Verre, acier et contre-plaqué vous renvoient des reflets sanguinaires au soleil couchant. Mondialisation, mondialisation.
Et y a toujours des hommes qui dorment sous les ponts.
Les usines implosent. Les mains des enfants courent sur les perles à broder sur les cols retournés et sur les ourlets des vestons retravaillés. Les regards des femmes exténuées parcourent les fleuves de tissu, sur le bord de la machine qui crache ses dernières heures. Les hommes s'échinent sur des plaques d'un métal inoxydable, les mains nues, le corps écorché, à monter ces monstres technologiques pour les hommes à la peau douce. Ca sue, ça tousse, ça grince, ça peine. Ca meurt, même, mais qu'y peut-on ? Mondialisation, mondialisation.
Toujours, toujours les hommes qui dorment sous les ponts.
Les taudis, sur le fil de la route. Les cartons qui s'entassent sous la pluie qui s'abat, violence conjuguée des pollutions grisonnantes de la ville qui s'étouffe dans sa propre fange. Il n'y a pas de rire, pas de chant. Il y a les corps agglutinés de ceux qui triment. Et loin, loin, loin, là où l'on mange chaud quarante deux fois la quinzaine, entre vaisselle brillante et blancheur irritante d'un mur presque trop propre, ça jette l'or par la fenêtre, sous prétexte que. Que quoi ? Que ça ne vaut pas grand-chose, il vaut mieux être heureux, n'est-ce pas ?
Les enfants dans les jardins des délocalisations, les ombres anthropomorphiques dans les déchetteries de l'humanité. Et l'amour, quelque part, comme dernier recours. Sauf que nous n'en avons pas le même usage. Mondialisation, mondialisation.
Et puis il y a toujours ces hommes qui dorment sous les ponts. Mais on les oublierait presque, on dirait.