Vendredi 12 octobre 2007 à 20:06

Parce que parfois, les mots n'ont aucun pouvoir. Ils sont juste posés sur le bout d'une feuille cornée, dans l'espoir d'avoir un sens. Mais peut-être que je ne souhaite pas leur en offrir un, puisque je les trouve si fades. Les images défilent, accompagnées de senteurs et de souvenirs, mais les mots se taisent.
Simplement. Nous verrons plus tard.

Dimanche 30 septembre 2007 à 17:40

 « A quinze ans, j'étais fatigué de vivre. Sans doute faut-il être si jeune pour se sentir si vieux…
 Privé de cette main qui m'a retenu, je me serais laissé glisser jusqu'au suicide, cette mort qui me tentait, séduisante, apaisante, trappe dérobée où j'aspirais à m'enfourner avec discrétion afin de mettre un terme à ma douleur.
 De quoi souffre-t-on à quinze ans ?
 De ça, justement : d'avoir quinze ans. De ne plus être un enfant et pas encore un homme. De nager au milieu du fleuve, une rive quittée, l'autre non rejointe, buvant la tasse, coulant, remontant, luttant contre les tourments du courant avec un corps nouveau qui n'a pas fait ses preuves, seul, suffoqué.
 Violents, mes quinze ans, rudes. La réalité frappe, entre, s'installe et trucide les illusions. Gamin, je pouvais me rêver mille destinées – aviateur, policier, prestidigitateur, pompier, vétérinaire, garagiste, prince d'Angleterre -, m'imaginer de nombreuses apparences – grand, fin, trapu, musclé, élégant -, me doter de talents variés – les mathématiques, la musique, la danse, la peinture, le bricolage -, m'attribuer le don des langues, la facilité pour le sport, l'art de la séduction, bref, je pouvais me déployer dans tous les sens puisque je n'avais pas encore de réalité. Qu'il était beau, l'univers, tant qu'il n'était pas vrai… Quinze ans, voilà que mon champ d'action se rétrécissait, les possibles tombaient comme des soldats à la guerre, mes rêves aussi. Charnier. Massacre. Je marchais dans un cimetière de songes. »

Eric Emmanuel Schmitt, Ma vie avec Mozart.


 C'est étrange. Ces mots, que j'ai trouvés dans un livre à l'abandon, sur une étagère poussiéreuse, sont ceux que je cherche parfois. Cette dérision qui me rend nostalgique de la vie, doucement mélancolique. Alcoolique. C'est une ritournelle, encore et encore. Les mêmes phrases qui reviennent et se mêlent, pour ne plus former qu'un discours incompréhensible. Et ce livre, là, entre mes mains, qui m'offrent la possibilité d'une autre expression, d'une autre libération. Se délivrer par la musique, qu'il dit. Une divinité mythique, dans ses draps de velours, qui vous sourit distraitement d'un tableau fragile posé sur un socle séculaire. C'est l'image même du génie qui vous scrute et vous laisse transparent. Peau diaphane sur quelques os brisés, et votre tête tourne. Voyez, ces notes qu'il a laissées, elles vous ont sauvé. Ne trouvez-vous pas que le hasard - oui, le hasard - fasse bien les choses ? Une sonate salvatrice. Et le sourire me vient. Il y a peut-être des rimes cachées dans les arias prometteurs d'une jeunesse prodige. Eclair et éblouissement. Ascension et décadence. Une vie, un prix. La tienne contre la sienne, et tu te vois comblé.
 A quinze ans, on est. Ou pas. Je ne sais pas, à vrai dire. Le sait-on seulement, à vingt ou trente ans ? Ce n'est pas une certitude. Ce n'est même qu'une hypothèse, délicatement posée sur un lit de questions. Assaisonnement, mon cher ? Un soupçon de doute ? Coïncidence, ou ? Tu me fais rire, avec tes grands yeux. Tu m'entends sans me comprendre, et je t'effraye. Je goûte à la saveur acidulée de ce sentiment incontrôlé. Je presse ma main contre la tienne, t'offre le bénéfice d'une seconde échappée. Fraîcheur et délice. Cela ne dure pas. J'ôte mes doigts tiédis et ton angoisse reprend. Qui suis-je ? Mais tu le sais donc si bien, mon ami. Je suis celle que tu veux que je sois, naturellement. Et mes peurs ne te concernent pas, je crois. Je vais lentement refermer le couvercle de mon obscur réceptacle, pour ne te présenter que mon visage rebondi. C'est une joue rougie, et un sourire feint. Du fard et quelques traits de crayons. Mon œuvre d'art, et ton cauchemar. Je ne suis plus qu'une carcasse, damoiseau, alors que ta chair respire la vie. J'aimerais te voler de ce bonheur, mais il m'est interdit. Les chemins se ramifient, et il est temps que je trouve le mien. Ma route. Ma destinée. Même si je n'y crois pas.
 Et j'espère recroiser des yeux effarés, pour me rappeler la réalité. Ton nom résonne à ma tête comme une douce berceuse. Celle d'une illusion effacée, et d'un passé abandonné. C'est la réalité gommée de ceux qui se disent heureux. J'aime à m'y complaire. Je suis vile et fourbe. Surtout lâche. Chacun son heure, la mienne s'enfuit, je cours la rattraper. En vain. Mais ça me fait rire, au moins un peu.

Mes quinze ans se sont échappés, et je ne les rattraperai jamais. Peine perdue. Et pourtant, il m'en reste quelques morceaux épars, comme une toile mal ajustée. Et vous, vos quinze ans de questionnement ?

Mercredi 26 septembre 2007 à 13:12


Samedi 22 septembre 2007 à 13:00

Chaconne de Vitali, musicalement.



Etre, ou ne pas être. Shakespeare et son éternelle question, entre romances et soupirs. L'auteur s'est tu, dans sa tombe de marbre, et s'est endormi entre les notes tumultueuses d'un fougueux Italien, entre cordes et vent. Une pédale qu'on appuie, alors que l'archet s'envole, contrepoids - plume. Un torrent, lorsqu'on mêle les jeux avec Chopin. C'est une partie de hasard qui s'accorde avec grâce. Soyons fou, partons à l'aventure des gammes perdues.

Les questions. Celles qui planent, légères et éphémères, dans un ciel trop limpide. Un soupçon d'aquarelle pour éblouir la scène, et le sol tremble. Tourbillon, et décadence. L'esprit se tord et se mord, c'est une douce punition. Ou presque. Un semblant de délice, dans la fraîcheur tardive. La pluie se met à couler, au compte goutte, et mes mots n'ont plus de sens. Ils dansent entre les flaques, dessinant d'obscurs projets dans la boue. Je les observe en souriant. Qu'ils s'amusent un peu, en me montrant le chemin à suivre. La route à continuer. Les idées se forment en ma tête. Elles s'organisent en parcelles de cohérence fragile. Un parfum de lys blanc m'envahit, tel une compresse rafraîchissante sur le front des malades. Lys et roses, apparemment. Apaisement tout relatif. Odieuse façade. Trompeuse escapade. Je m'en contenterai, cette fois-ci. Vous les voyez, mes petits bouts qui dansent, qui dansent, perdant leurs guillemets et leurs virgules ? C'est une salsa, ce soir. Une salsa arrogante et démente, qui les fait se tordre et se détendre. Ils rebondissent, sans cadence, sans rythme, et pourtant se complètent. Je ne suis que spectatrice de mes élucubrations sans fin. C'est drôle, vous savez, de se voir ainsi réfléchir. Réfléchir. Quel mot étrange, d'ailleurs. M'enfin, c'est un mot, justement. Mot et concept, concept et mot. Le monde ne tourne pas rond, quelle expression ! Conceptuel, et mes mains me font souffrir. Je gratte le sol, pour récupérer l'ami Conscience qui tente de s'évader par les souterrains. Il est vicieux, à vrai dire, mais je finirai par le rattraper. Je pense. J'espère. Un jour. En attendant, j'ai de la terre sous les ongles, et mes doigts rougis se font douloureux. Dans mon effort, je vois les mots qui se volatilisent, transparents fantômes de mon monde perdu. Ah, lorsque la concentration vous quitte et que vos sens reprennent le dessus, vos raisonnements se perdent. Quel gâchis, moi qui voulais prendre quelques clichés brumeux. Une autre fois, peut-être. Les mains dans les poches, je me retourne. L'aube se lève. C'est un blanc laiteux sur une morne plaine. Quelque chose de triste, peut-être, dans l'émerveillement de l'heure indicible. Mes yeux se posent sur la ligne brisée de l'horizon fatigué. Nouvellement.

Je suis entourée de rêves. Mes rêves flottent entre les arpèges et les accords brisés. Ces accords même sont entourés de rimes entrecroisées. Je suis prise dans l'engrenage de la perplexité, et mon cœur se soulève. La mer m'enrobe dans sa cape d'azur, et je suis [presque] vivante. La marée me porte, et je suis à la dérive, entre Sarasate et Lalo. Soyons francs, la Russie me berce en son sein, et je suis reine des illusions. Mon corps s'agite, dans une rythmique endiablée, et les bariolages s'enchaînent. Je suis liée au destin de cette funeste symphonie, comblée par l'anxiété troublée d'un compositeur persécuté. Ah, âme déchirée, je te suivrai jusque dans les hauteurs vertigineuses et les bas-fonds enflammés de ton esprit torturé. Offerte.




Tchaïkovski, 4ème symphonie en Fa mineur, opus 36, si je puis me permettre.

Samedi 15 septembre 2007 à 21:33

    C'est un amour fictif, une rencontre furtive. Ce n'est que l'illusion fallacieuse d'un sentiment partiellement faux. Ah, c'est drôle. Je m'enfonce les ongles dans la paume de la main pour me convaincre de cette nouvelle condition. Je m'y efforce, tout du moins. Frustration, dans cet éclair grisé. Une vitre teintée et des rires qui fusent. Mon cœur s'est retourné, dans un soubresaut fatal. Tu étais assis, nonchalant, sur cette chaise tressée. La fumée t'offrait ses bras protecteurs, alors que ta tête penchait dangereusement sur ce sourire effacé. Tes yeux de mer m'encerclent et me noient. C'est doux, c'est fou. Ce n'est qu'une illusion, mais elle me parait éternelle, tout comme cette existence – si je puis dire – qui s'éternise sans raison. Tes cheveux de blé s'épandent sur tes épaules dorées, alors même qu'une lueur éclaire ton regard. Je ne suis plus. Je me fonds dans cette tendresse inconnue. La tendresse de l'infini, en quelque sorte. L'infini de l'amour qu'on ne connaîtra jamais. J'aime à te croire mien, cher innommé. A imaginer tes mains fines et nerveuses sur ma peau fébrile. A penser tes lèvres douces sur ma nuque frissonnante. Tu es le rêve implicite de ma vie, celui qui m'aurait peut-être éclairée. Mais cette seconde est écoulée. Elle n'est plus. Ton sourire s'est effacé dans le rétroviseur de ma destinée, tu n'es plus qu'un songe décomposé. Une image sans forme, une odeur sans parfum, un son sans prononciation. Tu ne portes ni nom, ni âge, ni entourage. Tu es le prophète des non-dits, certainement. Le roi des insinués.
    Je ris. Je jette mes cheveux au vent, ceux qui ne sont qu'ébène et qui manquent de la lestée de ta blonde chevelure. Il y a un vide, désormais, comme un regret qu'on ne comprend pas. Tu n'as été qu'un instant anonyme dans ces heures d'égocentrisme, et cela me trouble. Ombre dans une rêverie trop sombre, je ne vois que tes traits qui se dissipent. Ô rage, ô désespoir, comme disent les dramaturges. Tu es le protagoniste qui meurt dans son sang, à la fin de la tragédie, en professant ces paroles tristes et angoissantes d'un amour sans lendemain. Oui. Tu es mon prince maudit qui se terre dans ses regrets cendrés. Ah, prend moi donc dans tes bras, cœur exsangue, pour me montrer la profondeur de tes sentiments. Je ne suis pas reine, mais je t'offre l'espérance de ce moment éphémère. Oui. Je te l'offre. Avec ce que tu voudras prendre de moi, encore. Je suis comme cette rose pâle d'un matin blafard, avec ses pétales qui s'effeuillent, entre blanc, rose et jaune. C'est une jupe froissée, une farandole brisée. Quelques couleurs qui s'entremêlent et se dévisagent. Chaque parcelle se détache et se fane dans un voluptueux soupir d'extase. Cette rose passe, comme mon corps qui se dégrade. Mais il y a ce cœur perlé qui se meurt de n'atteindre l'air. Cet air que tu avais insufflé en mes pensées. Chevalier, je me meurs. Dans cette attente latente, je disparais. J'emporte avec moi ce souvenir controversé. Je suis coupable. Coupable d'avoir été, durant cette seconde d'inattention.


« Je pense, donc je suis. » R. Descartes.
C'est étrange, je ne sais pas s'il faut y croire.

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